mardi 10 avril 2018

Parle avec elle (Hable con ella de P. Almodovar, 2002)




Très beau film de Pedro Almodovar, peut-être son plus abouti à ce jour et, à la fois, son plus touchant. Almodovar abandonne une forme d’excentricité qui ne l’a guère quitté depuis ses débuts, excentricité aussi bien formelle que dans ses thèmes (il aimait mettre en lumière des personnages que l’Espagne regardait de travers, comme les transsexuels, les gays, etc.). Almodovar semble ici davantage apaisé depuis Tout sur ma mère (Parle avec elle, qui s’ouvre sur un rideau qui se lève, répond au rideau qui se baissait à la fin de Tout sur ma mère).
Le film met en scène plusieurs groupes de personnages qui s’entrecroisent (Almodovar donne des pistes – mais en élude certaines – en chapitrant rapidement son film) autour d’un couple visible (Benigno l’infirmier et Alicia sa patiente dans le coma) et d’un second couple, moins visible mais déterminant (Benigno et Marco, à la relation de plus en plus complexe et ambiguë). Le film est alors construit sur une complémentarité des personnages féminins et masculins, qui va jusqu’à une fusion des contraires (Marco rencontre Benigno du fait de l’accident de Lydia, et Marco lui transmet, en quelque sorte, son amour pour Alicia).



Une nouvelle fois on reste stupéfait de la qualité narrative d’Almodovar, qui mélange si facilement des histoires et parvient, en quelques plans, à épaissir de nombreux personnages (un gros plan de Marco, un mouvement habile de caméra, comme lorsque Lydia regarde Marco dans un rétroviseur). Et Almodovar, par un sens de l’image très puissant, parvient à saisir cette relation pour le moins étrange qui se tisse entre Alicia et Benigno, en partie racontée en voix off, en partie montrée, avec tous les gestes doux et attentionnés de Benigno, qui sont autant de caresses d’amoureux. Benigno, cœur battant du film, tout en parole et en douceur, que Almodovar filme avec une retenue étonnante, devient une belle forme cinématographique de l’amour fou. Almodovar concerve d’ailleurs tout au long du film une retenue qui le conduit à des ellipses décisives (on ne voit ni l’accident d’Alicia ni le suicide de Benigno).



Almodovar filme parfaitement la proximité et le dévouement de Benigno et, dans le même temps, l’incapacité de Marco à faire de même avec Lydia (Marco en reste aux regards, quand l’infirmier passe lui, sans cesse, du regard à la parole). Et cette mise en scène (construite avec des jeux de miroirs, de vitres, de lignes verticales qui séparent l’image) se retrouve dans la prison où Benigno est définitivement coupé, comme déjà parti. Le final du film se construit alors sur un renversement : Benigno devient un monstre alors qu’Alicia renaît. Ces deux trajectoires se rejoignent paradoxalement dans Marco qui, en fin de film, ne pleure plus Lydia mais bien Benigno, et dont la relation prometteuse à Alicia (présentée dans le film et qu’il nous est laissé le soin de créer comme bon nous semble) lui permet d’exaucer son ami.
Le film recèle d’ailleurs de nombreux indices que Benigno, progressivement, passe le relais à Marco : bien avant la violence dramatique de l’acte de Benigno (qui vient d’une interprétation tragique du court-métrage muet délicieux inséré dans le film), Marco est amené à se préparer à s’occuper d’Alicia. Le « Parle avec elle » du titre est le message ultime de Benigno à son ami Marco à propos d’Alicia.

Si le film d’Almodovar évoque Tout sur ma mère (avec cette théâtralisation de la vie), il offre aussi un amusant et bel hommage au film muet (en particulier bien entendu à L’Homme qui rétrécit de J. Arnold) mais aussi à la danse (avec une ouverture et une conclusion de film dans un spectacle de Pina Bausch) et à la sensibilité artistique en général, au travers notamment de cette idée magnifique et sublimement montrée de l’infirmier qui découvre les passions d’Alicia, pour pouvoir les lui raconter ensuite.

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