vendredi 13 avril 2018

Taxi Téhéran (Taxi de J. Panahi, 2015)




Censuré et interdit d’exercer son métier de réalisateur, Jafar Panahi n’en continue pas moins de tourner, cette fois en circulant en plein Téhéran, au volant d’un taxi. Si la réalité de la situation politique iranienne l’empêche de tourner ce qu’il souhaiterait et de la façon dont il le souhaiterait (1), Panahi contourne la condamnation en mettant en place un dispositif discret et minimaliste (une caméra installée dans le taxi et qu’il manipule à plusieurs reprises pour élargir le cadre ;  quelques images prises avec un téléphone ou un appareil photo).



Il fait alors surgir  avec une certaine ironie le réel dans la fiction sous la forme des clients du taxi qu’il conduit lui-même. Le film est ainsi construit autour de plusieurs saynètes qui, mises bout à bout, racontent une Téhéran tantôt légère, tantôt poignante, mais toujours pleine de vie. Si la frontière entre documentaire et réel est floue et si Panahi n’est pas un bon chauffeur de taxi (et il ne cherche pas à l’être, lui qui ne connaît guère les destinations, freine brusquement, et préfère confier des clients à d’autres taxis), on sent bien son plaisir immense à filmer et à saisir des éléments de la vie iranienne. Il montre ainsi une partie de l’envers du décor, où des CD et des DVD interdits circulent sous le manteau (tout comme le font ses propres films, interdits de diffusion), où des voleurs s’expriment, où un agonisant fournit un dernier effort pour que sa femme puisse hériter de ses biens, et où sa propre nièce rappelle doctement la loi qui bride les réalisateurs. Qu’importe, nous dit Panahi, qui transforme le réel en un film qui, pour les autorités, n’existe pas et ne sera pas diffusé.
Bien entendu le film s’offre à de multiples lectures et déborde largement le manifeste politique (qui est de continuer coûte que coûte à tourner malgré l’interdiction). En mélangeant le réel et le documentaire, Panahi se rapproche de la substance même du cinéma (qui est l’art, nous dit Paul Valéry, « de faire du faux à partir du vrai »). Et il se situe aussi dans la droite lignée de A. Kiarostami, dont il fut l’assistant et dont plusieurs films reprennent, dans de larges séquences, ce procédé de prises de vue dans une voiture. Enfin, Panahi, tout en continuant explicitement d’être réalisateur – on le voit notamment s’approcher de la petite caméra pour la faire pivoter – « joue » au chauffeur, d’autres personnages jouent eux-aussi un rôle manifeste, parfois le leur (comme l’avocate et son joli bouquet de roses, très symbolique).





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(1) : Il s’agit rien de moins que son troisième film (après Ceci n’est pas un film et Pardé) depuis qu’il lui est interdit de réaliser des films.

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