Un des tout
meilleurs films d’Elio Petri, centré sur le travail à l’usine, et qui explore
le destin de Lulu (extraordinaire Gian Maria Volontè), l’ouvrier modèle,
stakhanoviste, aliéné par son travail, qui se voit licencié après un accident
du travail.
La première
partie du film est parfaite, avec Lulu, maudit par ses collègues, qui travaille
plus vite que tout le monde, sert de référence pour ses patrons pour imposer
des cadences infernales mais qui n’a pas de vie hors de l’usine. Petri installe
le prototype de l’aliénation par le travail, avec un travailleur qui ne pense
pas et qui ne prend aucun recul : il faut voir Lulu croupissant devant la
télé, le soir, ou marmonnant dans le lit conjugal son impuissance à satisfaire
sa femme, happé et vidé qu’il est par son travail (Petri multiplie les ironies
grinçantes). L’incroyable ambiance sonore (articulée autour du bruit des
machines, des cris dans les mégaphones et de l’étonnant thème de Ennio
Morricone) participe de cet enfermement.
Posée cette
première pierre, le film démarre réellement : il s’agira de suivre
l’éventuelle prise de conscience de Lulu après son renvoi. Mais cette prise de
conscience s’avère amère et, surtout, très sombre : si c’est le travail au
rendement – à la pièce – qui a raison de la santé des ouvriers (avec, en point
de mire, l’ancien ouvrier Militina, aujourd’hui à l’asile, rendu fou par son
travail et qui est le seul à comprendre Lulu), les syndicats se battront et
obtiendront la fin du travail au rendement et la réintégration de Lulu. Mais,
s’il revient à l’usine, c’est pour se retrouver à travailler à la chaîne et le
voilà tout autant aliéné qu’auparavant.
De sorte que le
propos est dur pour les syndicats, incapables d’aider réellement Lulu à sortir
de sa condition. La réaction de Lulu – pour le moins mitigée – lorsqu’il
apprend qu’il est réintégré à l’usine en dit long. Quant aux étudiants
d’extrême gauche qui invectivent les ouvriers, ils rejettent Lulu qui vient les
voir, ne pouvant rien faire pour lui. Le traitement de ces deux corps de lutte
– les syndicats et les étudiants – est très réussi, puisque s’ils accueillent,
chaque matin, les ouvriers avec leurs mégaphones, on comprend à quel point ils
ne parlent pas le même langage et sont dans l’incommunicabilité totale. Petri
rend ici parfaitement compte de ces luttes de chapelles au sein de l’extrême
gauche et des slogans ou des belles paroles qui ne mènent à rien.
C’est ainsi que, si le film est très politique, Petri, très engagé à gauche, en renvoyant dos à
dos factions syndicales et étudiants, a le bon goût de ne pas faire un film
militant. Son film sera d’ailleurs très mal accueilli par la gauche italienne
en général et par le parti Communiste italien en particulier (l’usine, cernée
de fil de fer et coincée sous la neige, évoque d’ailleurs furieusement un
goulag russe).
Et la terrible
ironie du titre, qui reprend le rêve final raconté par Lulu, prend tout son
sens dans le destin de Lulu (et, à travers lui, de la classe ouvrière) :
il n’y a nul paradis en vue, mais plutôt un avenir bien sombre avec un travail
toujours plus aliénant : la classe ouvrière est vouée à l'enfer.
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