lundi 8 octobre 2018

Le Conformiste (Il Conformista de B. Bertolucci, 1970)




Très bon film de Bernardo Bertolucci qui parvient à saisir l’insaisissable hésitation qui se joue au fond du cerveau de Marcello Clerici (excellent Trintignant (1)), confronté à l’immersion dans le fascisme. C’est par volonté de conformisme, donc, que Clerici devient fasciste, comme tout le monde, dans cette Italie des années 30. Il épouse une jeune bourgeoise écervelée (très bien jouée par Stefania Sandrelli), se confesse bien comme il faut, recherche une petite vie bourgeoise « normale » et, donc, avec la même évidence naturelle, devient fasciste. La grande réussite du film est de garder une part d’énigme indéfinissable chez Clerici qui est comme figé dans son indétermination, coincé entre ce à quoi il aspire (l’indifférence du conformiste) et ses pulsions (Anna qui l’attire).



L’habile construction du film, tout en flash-backs, éclaire progressivement les raisons pour lesquelles Clerici se sent anormal et n’aspire à rien d’autre qu’à devenir invisible, au milieu de la foule des autres.

Formellement, le film est une vraie réussite, en opposant très nettement l’Italie fasciste (où tout n’est que géométrie grise et froide) au Paris du Front populaire (avec ses bals et ses lumières chatoyantes). Et le film est traversé de fulgurances visuelles, comme la scène d’amour dans le train ou la première entrevue du professeur avec Clerici, qui montrent la virtuosité de Bertolucci.



Cela dit, si le film scrute la façon dont Clerici, qui se sent différent, veut rentrer dans le rang, on a l'impression d'une erreur de fond dans le regard de Bertolucci (et de Moravia dont il adapte le roman) : on se demande si l'un et l'autre ne passent pas à côté de la normalité de l’adhésion au fascisme à cette époque. En effet c'est bien plus la normalité qui explique l'adhésion au conformisme que la réparation d'une anormalité. C'est que tout le monde n’est pas comme Clerici, à ressentir un besoin de conformisme à cause d’une histoire tourmentée et tragique. Le conformisme, malheureusement, n’a pas besoin de telles extrémités pour s’exprimer. On constaterait même plutôt l’inverse : vu le coût social de ne pas être dans le rang, vu la difficulté à construire une pensée propre qui ne soit pas un simple emprunt d’une pensée toute faite, il faut des raisons particulières ou un caractère suffisamment fort pour oser ne pas faire ou ne pas penser comme tout le monde. 
De sorte que la pensée commune d’une époque (fût-elle le fascisme dans l’Italie des années 30) est adoptée par le plus grand nombre de façon tout à fait logique et naturelle. Et, s’il était besoin d’une – savoureuse – illustration cinématographique de cet état de fait, on pourrait se tourner vers le Zelig de W. Allen.



________________________________

(1) : On notera que le film, en version originale italienne, nous fait grâce de la voix de Trintignant. Or si Trintignant est un acteur sobre capable, comme ici, de faire passer beaucoup d’émotions avec un jeu minimaliste, sa voix, au contraire, semble surjouer constamment (avec une fausse sobriété qui sonne mal).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire