Très bon film de Bernardo Bertolucci qui parvient à saisir l’insaisissable hésitation qui se joue au fond
du cerveau de Marcello Clerici (excellent Trintignant (1)), confronté à
l’immersion dans le fascisme. C’est par volonté de conformisme, donc, que
Clerici devient fasciste, comme tout le monde, dans cette Italie des années 30.
Il épouse une jeune bourgeoise écervelée (très bien jouée par Stefania
Sandrelli), se confesse bien comme il faut, recherche une petite vie bourgeoise
« normale » et, donc, avec la même évidence naturelle, devient
fasciste. La grande réussite du film est de garder une part d’énigme indéfinissable chez Clerici qui est comme figé dans son
indétermination, coincé entre ce à quoi il aspire (l’indifférence du
conformiste) et ses pulsions (Anna qui l’attire).
L’habile construction du film, tout en flash-backs, éclaire progressivement les raisons
pour lesquelles Clerici se sent anormal et n’aspire à rien d’autre qu’à devenir
invisible, au milieu de la foule des autres.
Formellement, le
film est une vraie réussite, en opposant très nettement l’Italie fasciste (où
tout n’est que géométrie grise et froide) au Paris du Front populaire (avec ses
bals et ses lumières chatoyantes). Et le film est traversé de fulgurances
visuelles, comme la scène d’amour dans le train ou la première entrevue du
professeur avec Clerici, qui montrent la virtuosité de Bertolucci.
Cela dit, si
le film scrute la façon dont Clerici, qui se sent différent, veut rentrer
dans le rang, on a l'impression d'une erreur de fond dans le regard de Bertolucci (et de Moravia dont il adapte le roman) : on se demande si l'un et l'autre ne passent pas à côté de la normalité de l’adhésion au fascisme à cette époque. En effet c'est bien plus la normalité qui explique l'adhésion au conformisme que la réparation d'une anormalité. C'est que tout le monde n’est pas comme Clerici, à ressentir un besoin de
conformisme à cause d’une histoire tourmentée et tragique. Le conformisme,
malheureusement, n’a pas besoin de telles extrémités pour s’exprimer. On
constaterait même plutôt l’inverse : vu le coût social de ne pas être dans
le rang, vu la difficulté à construire une pensée propre qui ne soit pas un
simple emprunt d’une pensée toute faite, il faut des raisons particulières ou
un caractère suffisamment fort pour oser ne pas faire ou ne pas penser comme
tout le monde.
De sorte que la
pensée commune d’une époque (fût-elle le fascisme dans l’Italie des années 30)
est adoptée par le plus grand nombre de façon tout à fait logique et naturelle. Et, s’il était besoin d’une – savoureuse – illustration cinématographique de cet état de fait, on pourrait se tourner vers le Zelig de W. Allen.
(1) : On notera que le film, en version
originale italienne, nous fait grâce de la voix de Trintignant. Or si Trintignant
est un acteur sobre capable, comme ici, de faire passer beaucoup d’émotions
avec un jeu minimaliste, sa voix, au contraire, semble surjouer constamment
(avec une fausse sobriété qui sonne mal).
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