Bien loin d’être une histoire dans le sens
« historien » de terme, Jean-Luc Godard propose avec Histoire(s)
du cinéma (1) un regard et une réflexion sur le cinéma. De sorte que
son Histoire apparaît comme un mélange entre science et art.
Godard travaille en fait à partir de quelques grands
principes :
- L’importance primordiale du montage (« montage mon beau
souci »). Il utilise la juxtaposition de motifs et travaille sans relâche
cet élément.
- Et, conséquence de ces juxtapositions : à partir de deux
images entremêlées, diluées, compactées ou soudées l’une à l’autre, il en naît
une troisième (1 + 1 = 3 pourrait-on dire). Il cherche ainsi sans arrêt à
essorer les images pour en capter quelque chose.
L’ensemble évoque parfois un
shaker agité d’où ressortent des images, des surimpressions, des scansions
(avec la mitraillette répétitive de sa machine à écrire).
C’est là qu’est l’apport de Godard : à partir d’images qui ne sont pas les
siennes mais qui sont empruntées à des films ou des documentaires, il ressort
une nouvelle image, typiquement godardienne. Mais cette image reste très
froide, avec bien peu d’émotion ou d’épaisseur. Godard utilise de multiples
fragments empruntés à l’histoire du cinéma mais aussi à l’histoire de la
peinture, ou à l’histoire du XXème siècle (l’horreur de la seconde Guerre
mondiale en particulier). Il utilise ainsi le cinéma pour raconter l’histoire
du cinéma. Histoire(s) du cinéma raconte l’histoire de
l’Histoire en quelque sorte. Et Godard redonne aussi au cinéma sa place
dans l’histoire de l’art, en héritier de l’art pictural – des impressionnistes
notamment – reprenant en cela des réflexions d’André Bazin.
On pourra trouver cette Histoire(s) du cinéma géniale,
mais on pourra aussi trouver l’ensemble assez confus, construit comme un
déferlement d’images peu signifiantes, assorti, en surimpressions, des
aphorismes de Godard. Car c’est là un des traits du personnage que de ne s’exprimer
que par semi-truismes que, apparemment, il considère comme autant de pensées
très puissantes. De même des nombreuses évocations (notamment d’œuvre
littéraires) qui restent uniquement à cet état d’évocations et ne participent
guère de la construction d’une pensée puissante ou nouvelle qui relierait des
éléments ou construirait des ponts entre les arts.
Godard, derrière cette forme complexe, désordonnée et qui se
dit géniale (et qui est décrite comme telle par les universitaires), s’exprime
aussi par postulats, assénés avec cette façon particulière qu’ont les artistes
d’être sûrs de leur fait. Ces postulats sont le plus souvent complètement dans
l’air du temps et ils ne procèdent guère d’un regard particulièrement aiguisé –
comme lorsqu’il expose qu’en ne filmant pas les camps de concentration, le
cinéma a manqué à son devoir. Godard, enfin – ce qui s’accorde avec cette pensée
délivrée frontalement par des textes – se met en scène comme un démiurge qui,
non seulement est maître de son œuvre, mais est aussi le maître du monde. Il
faut dire que Godard accorde un pouvoir total à l’image : pour lui, qui
maîtrise l’image, maîtrise le monde.
Et on se rend compte, derrière cette forme sans doute
foutraque, peut-être géniale, mais incontestablement originale, que Godard,
bien que penseur permanent du medium, a peu de choses à dire.
Mais peut-être faut-il bien garder à l’esprit que les
artistes sont davantage des personnes capables d’exprimer des ressentis que des
penseurs. En effet ce n’est pas tant que l’artiste ressente quelque chose qui
le distingue, c’est sa capacité à exprimer ce qu’il ressent (2). Ainsi ce qui
est exprimé est un ressenti ou une émotion, beaucoup plus qu’une pensée
complexe.
C’est peut-être ce qui explique l’un des paradoxes de
Godard, lui qui a tant réfléchi au médium et tant cherché à comprendre comment le
cinéma pouvait rendre compte de ce qui peuple son esprit, lui dont l’exploration
du medium est fondamentale (par son approche, sa technique, sa liberté), ce
qu’il a à dire, en revanche, laisse songeur : en tant que penseur ou
qu’essayiste, Godard n’est guère percutant.
________________________________
(2) : On est tous parcourus par les bruits du monde,
par toutes ces lignes qui s’entremêlent en nous. Simplement il y a deux
catégories de personnes : d’une part celles qui n’y sont pas attentives et
qui n’en ont pas conscience ; d’autre part celles qui y sont attentives et
en ont conscience.
Parmi cette seconde catégorie, il en est qui cherchent à
exprimer et à faire pulser hors d’eux cette conscience des bruits du
monde : ce sont les artistes. C’est donc une capacité à s’exprimer qui
fait l’artiste, bien plus qu’une sensibilité : ce n’est pas qu’il ressent
les choses qui le distingue, c’est qu’il cherche à exprimer ce ressenti.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire