samedi 16 mars 2019

Histoire(s) du cinéma (J.- L. Godard, 1998)




Bien loin d’être une histoire dans le sens « historien » de terme, Jean-Luc Godard propose avec Histoire(s) du cinéma (1) un regard et une réflexion sur le cinéma. De sorte que son Histoire apparaît comme un mélange entre science et art.

Godard travaille en fait à partir de quelques grands principes :
- L’importance primordiale du montage (« montage mon beau souci »). Il utilise la juxtaposition de motifs et travaille sans relâche cet élément.
- Et, conséquence de ces juxtapositions : à partir de deux images entremêlées, diluées, compactées ou soudées l’une à l’autre, il en naît une troisième (1 + 1 = 3 pourrait-on dire). Il cherche ainsi sans arrêt à essorer les images pour en capter quelque chose.
L’ensemble évoque parfois un shaker agité d’où ressortent des images, des surimpressions, des scansions (avec la mitraillette répétitive de sa machine à écrire).

C’est là qu’est l’apport de Godard : à partir d’images qui ne sont pas les siennes mais qui sont empruntées à des films ou des documentaires, il ressort une nouvelle image, typiquement godardienne. Mais cette image reste très froide, avec bien peu d’émotion ou d’épaisseur. Godard utilise de multiples fragments empruntés à l’histoire du cinéma mais aussi à l’histoire de la peinture, ou à l’histoire du XXème siècle (l’horreur de la seconde Guerre mondiale en particulier). Il utilise ainsi le cinéma pour raconter l’histoire du cinéma. Histoire(s) du cinéma raconte l’histoire de l’Histoire en quelque sorte. Et Godard redonne aussi au cinéma sa place dans l’histoire de l’art, en héritier de l’art pictural – des impressionnistes notamment – reprenant en cela des réflexions d’André Bazin.

On pourra trouver cette Histoire(s) du cinéma géniale, mais on pourra aussi trouver l’ensemble assez confus, construit comme un déferlement d’images peu signifiantes, assorti, en surimpressions, des aphorismes de Godard. Car c’est là un des traits du personnage que de ne s’exprimer que par semi-truismes que, apparemment, il considère comme autant de pensées très puissantes. De même des nombreuses évocations (notamment d’œuvre littéraires) qui restent uniquement à cet état d’évocations et ne participent guère de la construction d’une pensée puissante ou nouvelle qui relierait des éléments ou construirait des ponts entre les arts.


Godard, derrière cette forme complexe, désordonnée et qui se dit géniale (et qui est décrite comme telle par les universitaires), s’exprime aussi par postulats, assénés avec cette façon particulière qu’ont les artistes d’être sûrs de leur fait. Ces postulats sont le plus souvent complètement dans l’air du temps et ils ne procèdent guère d’un regard particulièrement aiguisé – comme lorsqu’il expose qu’en ne filmant pas les camps de concentration, le cinéma a manqué à son devoir. Godard, enfin – ce qui s’accorde avec cette pensée délivrée frontalement par des textes – se met en scène comme un démiurge qui, non seulement est maître de son œuvre, mais est aussi le maître du monde. Il faut dire que Godard accorde un pouvoir total à l’image : pour lui, qui maîtrise l’image, maîtrise le monde.

Et on se rend compte, derrière cette forme sans doute foutraque, peut-être géniale, mais incontestablement originale, que Godard, bien que penseur permanent du medium, a peu de choses à dire.
Mais peut-être faut-il bien garder à l’esprit que les artistes sont davantage des personnes capables d’exprimer des ressentis que des penseurs. En effet ce n’est pas tant que l’artiste ressente quelque chose qui le distingue, c’est sa capacité à exprimer ce qu’il ressent (2). Ainsi ce qui est exprimé est un ressenti ou une émotion, beaucoup plus qu’une pensée complexe.

C’est peut-être ce qui explique l’un des paradoxes de Godard, lui qui a tant réfléchi au médium et tant cherché à comprendre comment le cinéma pouvait rendre compte de ce qui peuple son esprit, lui dont l’exploration du medium est fondamentale (par son approche, sa technique, sa liberté), ce qu’il a à dire, en revanche, laisse songeur : en tant que penseur ou qu’essayiste, Godard n’est guère percutant.




________________________________

(1) : Nous considérerons la série de 8 courts-métrages réalisés de 1988 à 1998 comme une seule oeuvre.

(2) : On est tous parcourus par les bruits du monde, par toutes ces lignes qui s’entremêlent en nous. Simplement il y a deux catégories de personnes : d’une part celles qui n’y sont pas attentives et qui n’en ont pas conscience ; d’autre part celles qui y sont attentives et en ont conscience.
Parmi cette seconde catégorie, il en est qui cherchent à exprimer et à faire pulser hors d’eux cette conscience des bruits du monde : ce sont les artistes. C’est donc une capacité à s’exprimer qui fait l’artiste, bien plus qu’une sensibilité : ce n’est pas qu’il ressent les choses qui le distingue, c’est qu’il cherche à exprimer ce ressenti.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire