samedi 27 avril 2019

La Bataille d'Alger (La Battaglia di Algeri de G. Pontecorvo, 1966)





Grand film de guerre, La Bataille d'Alger est aussi le premier film (et l'un des rares) à traiter sans détour de la guerre d'Algérie au travers d'un des épisodes les plus emblématiques du conflit. Il montre sans détour les terroristes qui fabriquent et installent leurs bombes aussi bien que l'armée française qui torture pour venir à bout de la rébellion.
Gillo Pontecorvo (1) traverse la casbah en long et en large, avec sa caméra au poing, il filme les ruelles, s'attarde sur des visages, saisit des mouvements de foule. Il capte des silences, des bouillonnements internes et fixe à l'image la haine qui s’installe, les univers qui s'affrontent. Le montage est nerveux, sec, très prenant, dès la séquence d'ouverture – qui est un flash-forward annonçant la séquence finale – et sans jamais faiblir ensuite. Certaines séquences, par le réalisme de la photo, par le souci descriptif, ont valeur de reportage (2) – le film s’inscrit dans le déroulé de la bataille en affichant à l'écran différentes dates qui sont autant de moments clefs –  qu'il s'agisse de la casbah vibrante ou des bars fréquentés par les Français.

Mais, bien sûr, le film dépasse le simple film de genre. Il est un acte politique, au moment où la politique française – et avec elle le cinéma français – a tourné le dos à l'Algérie. Mais Pontecorvo, s'il dénonce les exactions, a le souci d'équilibrer les choses et il prend le temps de donner la parole aux deux camps. On voit les rebelles algériens acculés et ne pouvant plus s'exprimer que par les bombes. On voit le colonel français expliquer n'avoir pas le choix sur les méthodes qu'il emploie pour venir à bout des rebelles. Les spectateur est alors à même de comprendre les deux points de vue antagonistes : le recours au terrorisme pour les uns et le recours à la torture pour les autres. Avec, dans les deux cas la même question : quel autre moyen d'action ?
Mais, si le film s'attache à reconstituer le point de vue algérien et le point de vue français sur ces événements, il manque malgré tout d'objectivité en montrant des Français nettement arrogants et méprisants envers les Algériens. Et le spectateur n'ira pas dans les appartements français comme il va dans les maisons de la casbah. Le film, d'ailleurs, construit la figure héroïque d'Ali la pointe, qui ne faiblira jamais.

Mais, malgré cela, l'horreur du terrorisme n'est pas éludé : on voit longuement les Français qui s’amusent dans les bars avant d'être déchiquetés par les bombes traîtresses.



Les acteurs (non professionnels à l'exception de Jean Martin) sont parfaits, en particulier Brahim Haggiag, qui campe parfaitement Ali la pointe, lui donnant cette part de colère et de détermination qui marque celui qui sera bientôt un symbole de la bataille du côté algérien.

Enfin il est symptomatique que le film soit réalisé par un Italien. On sait que le cinéma français – qui se targue pourtant de ne pas manquer de réalisateurs engagés – ne s'est pas emparé de la guerre d'Algérie qu'il a soigneusement glissée sous le tapis, à l'inverse, par exemple, du cinéma américain qui, de son côté, n'a pas cherché à éluder le traumatisme du Vietnam (les premiers films sur le sujet apparaissent très tôt, quelques années à peine après la fin du conflit (3)). En France il faut attendre bien longtemps pour que le sujet soit abordé, et encore, sans aborder frontalement les questions qui fâchent (celle de la torture en particulier). Avoir vingt ans dans les Aurès de R. Vautier, tourné dix ans après les accords d'Évian, est, à ce titre, bien seul dans le paysage cinématographique français de l'époque (on citera aussi R.A.S. de Y. Boisset, qui trouve sans doute une source d'inspiration chez Pontecorvo).





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(1) : Pontecorvo est aussi connu dans le monde du cinéma pour avoir été violemment ciblé par Jacques Rivette dans les Cahiers du Cinéma : ce dernier est l'auteur du fameux texte sur le « travelling de Kapo »  – où il est question de mépriser un réalisateur pour un mouvement de caméra, le fond  et la forme étant indissociables  – et Pontecorvo a été conspué par la critique française à ce propos.
(2) : Notons aussi que le film est toujours utilisé par différentes armées (dont l'américaine) comme document sur la guérilla urbaine et le soulèvement d'un peuple.
(3) : Et même avant la fin si l’on considère Les Visiteurs d’E. Kazan.

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