Bruno Dumont déploie dans L’humanité son style si particulier, fait d’un radicalisme formel
rare, d’une grande épure, de peu de dialogues. Il y peint le Nord – comme si
souvent chez lui –, mais un Nord froid de l’isolement social et vide de
relations humaines inexistantes ou superficielles.
Le film est centré sur un personnage atypique – le
lieutenant de police Pharaon de Winter –, bien peu héroïque et qui est en
rupture avec l’image de policiers à laquelle nous a habitués aussi bien Hollywood que les polars français (quoi qu'il y ait le côté taiseux qu'ont certains Maigret, mais il n'y a rien de Maigret dans son rapport aux autres ou à son métier) :
Pharaon de Winter est un être simple, lent, qui s’exprime de façon incertaine,
qui réagit peu, qui laisse les choses glisser sur lui, semble-t-il. En fait
Pharaon – là encore à l’opposé du personnage-type tel que l’a façonné Hollywood
– est un homme pur, empli d’empathie et de compassion et il recueille toute la
douleur du monde que son métier l’amène à croiser. Il l’aspire, la reçoit en
lui. Et toutes ces douleurs, tout ce mal des hommes qu’il emmagasine, ressort,
par moments, comme lorsqu’il gît, figé dans la boue d’un champ labouré, ou
comme lorsqu’il hurle, au passage du TGV. Il y a du Munch dans ce cri
libérateur qui vient des profondeurs. Et il y a du Bresson dans ce personnage
au jeu minimaliste et aux bras ballants.
Le film, alors, organisé autour de ce personnage étrange,
décrit un univers vide et lent, où les rues, la campagne, le bord de mer
confinent parfois à l’abstraction, où les relations humaines sont anormales,
vaines, dévitalisées ou bien, tout au contraire, pulsionnelles et violentes.
La réussite du film est dans cet équilibre trouvé par
Dumont : il fait fi de toutes facéties pour occuper l’écran, revient à
une transparence du cadrage et du découpage, s’en remet à ses acteurs auxquels
il donne une coloration bressonienne et il ne juge pas ses personnages, ne
montrant ni complaisance ni regard implacable à leur égard, mais gardant une
distance un peu abstraite avec ce monde froid, inhumain par bien des aspects,
avec pour seul relais humain Pharaon de Winter, qui embrasse – au propre comme
au figuré – tout le malheur des hommes.
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