L’histoire de Timothy Treadwell, que raconte Grizzly Man, a sans doute intéressé Werner Herzog parce qu’elle est jusqu’au boutiste : en allant vivre auprès des ours, oubliant le bon sens des risques encourus, Treadwell se met en danger et flirte, sans cesse, avec la limite. Or Herzog lui-même a titillé cette limite, sans la franchir tout à fait, lors de ses tournages terribles d’Aguirre ou de Fitzcarraldo. Perdu dans la jungle, ses crédits de tournage épuisés, mais avec une ambition intacte et une démesure folle (faire passer un bateau à travers la forêt dans Fitzcarraldo), Herzog a connu l’archétype du tournage sans filet, sans retenue. L’histoire de Treadwell, qui s’enfonce lui aussi dans la nature sans filet, procède du même état d’esprit, du même regard sur le monde : celui de Cortés qui brûle ses bateaux pour ne pas être tenté de repartir.
Mais, au-delà de
cet intérêt du réalisateur pour son sujet, le documentaire s’avère assez
décevant. Il montre beaucoup Treadwell lui-même qui se filme au contact des
ours, mais sa démarche paraît très superficielle et aléatoire (les protéger,
les étudier ?). Si l’engouement médiatique autour du personnage a pu faire
parler des ours, on se demande ce que ses études ont pu apporter que les biologistes
ignoraient. Tout cela, au-delà d’une « recherche personnelle » est
assez vain. Et tout cela – inévitablement est-on tenté de dire – se finit forcément
tragiquement.
Il faut dire aussi
que Treadwell n’est pas Herzog et que le documentaire – qui fait la part belle
aux propres vidéos de l’amateur de grizzlys – manque d’images d’Herzog lui-même. S’il
met en scène plusieurs interviews, le tout manque de passion et le rapport à la
nature reste très superficiel. On nous parle de communion avec la nature mais l’on
ne communie pas du tout ; on nous parle de folies mais l’image n’est pas folle.
On retrouve d’ailleurs
l’idée, avec les mêmes limites, qui traversent Into the Wild de Sean Penn, où les belles idées d’un retour vers la
Nature à la Thoreau se conjuguent à l’inconscience et à la disparition du bon
sens, le tout avec la même issue fatale.
On préférera largement
le documentaire d’Herzog sur la grotte Chauvet – La Grotte des rêves perdus – où le cinéaste est bien plus inspiré
et il fait vibrer bien davantage les peintures accrochées aux rochers et
cherchera plus à creuser les choses, à les faire rimer avec quelques vibrations
internes.
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