Si Sam Mendes
cherche à happer le spectateur sans le lâcher d’une seconde, son entreprise
tombe à plat. Construit en un gigantesque plan-séquence (avec une coupure au
noir) qui ne lâche pas une seconde le protagoniste, le film ressemble à l’exploration
d’une carte dans un jeu vidéo : on se croirait dans Call of Duty.
Le héros (que,
comme il se doit, l’on ne quitte pas une seconde) est parfaitement vide et
creux, ce qui est tout à fait normal puisque, dans un jeu vidéo, le joueur est ce personnage et qu’il n’a donc pas
de substance particulière. Il n’est que l’exécutant sans âme de ce que fait le
joueur. Quant aux autres personnages, ils sont eux aussi fidèles à ce parallèle
au jeu vidéo puisqu’ils évoquent les personnages non joueurs : on les
croise un moment, ils délivrent, le cas échéant, une information, et, l’instant
d’après, ils sont dépassés et on ne les reverra plus. Et la caméra, tout à son
idée fixe de faire un vaste plan-séquence (ou presque) du film, ressemble au
joystick du gamer bien plus qu’à l’outil du cinéaste. Elle tourne autour du
héros, comme un joueur qui surveille ses arrières, zoome, hésite, recule et
finit par avancer.
Notons que le
film pâtit aussi d’une perfection numérique qui rend les décors artificiels :
on voit que tout cela n’est pas vrai, que ces tranchées ou que ces ruines n’en
sont pas, et que les acteurs se sont agités sur des fonds verts. On retrouve,
là aussi, le même pseudo « réalisme » des jeux vidéo, qui
fourmillent de détails, mais ne sont qu’une reconstitution numérique (ce que le
joueur sait parfaitement, puisque le jeu ne cherche pas à lui faire croire qu’il
s’agit de la réalité, à l’inverse du cinéma qui a, et c’est le cas évidemment
dans 1917, cette prétention).
Ces décors ont beau
se vouloir réalistes, ils sont terriblement lisses, avec une apparence
lointaine et irréelle. Cette artificialisation du film est la marque de ce « tout
numérique » qui a tout envahi, devenant une manière de faire
exclusive et envahissante, qui conditionne tout le film.
On sait les
parallèles fréquents qui peuvent se tisser entre jeux vidéo et cinéma (de eXistenZ à Avatar), mais on sait aussi qu’un spectateur n’est pas qu’un gamer
frustré de ne pouvoir jouer : caricaturant les choses, 1917 apparaît simplement comme une partie
réussie de Call of Duty, avec le héros
qui va au bout de sa mission (on s’en doutait un peu). Mais 1917 n’est rien d’autre que cela et
laisse de côté tout ce qui, derrière l’apparat et l’ambition, fait la substance
même d’un film : l’intérêt d’une histoire, l’émotion et l’épaisseur des
personnages, les drames et les tragédies d’une guerre, les espoirs et les
désespoirs, les instants dissonants qui sortent de l’imagerie habituelle, les
hésitations et les ambiguïtés, les trahisons, les doutes et mille autres moments
qui font qu’un film est bien plus qu’une belle partie de jeu vidéo. Et qui
font aussi, par là même, qu’un spectateur est bien plus qu’un gamer sans
joystick.
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