mardi 2 juin 2020

1917 (S. Mendes, 2019)




Si Sam Mendes cherche à happer le spectateur sans le lâcher d’une seconde, son entreprise tombe à plat. Construit en un gigantesque plan-séquence (avec une coupure au noir) qui ne lâche pas une seconde le protagoniste, le film ressemble à l’exploration d’une carte dans un jeu vidéo : on se croirait dans Call of Duty.
Le héros (que, comme il se doit, l’on ne quitte pas une seconde) est parfaitement vide et creux, ce qui est tout à fait normal puisque, dans un jeu vidéo, le joueur est ce personnage et qu’il n’a donc pas de substance particulière. Il n’est que l’exécutant sans âme de ce que fait le joueur. Quant aux autres personnages, ils sont eux aussi fidèles à ce parallèle au jeu vidéo puisqu’ils évoquent les personnages non joueurs : on les croise un moment, ils délivrent, le cas échéant, une information, et, l’instant d’après, ils sont dépassés et on ne les reverra plus. Et la caméra, tout à son idée fixe de faire un vaste plan-séquence (ou presque) du film, ressemble au joystick du gamer bien plus qu’à l’outil du cinéaste. Elle tourne autour du héros, comme un joueur qui surveille ses arrières, zoome, hésite, recule et finit par avancer.
Notons que le film pâtit aussi d’une perfection numérique qui rend les décors artificiels : on voit que tout cela n’est pas vrai, que ces tranchées ou que ces ruines n’en sont pas, et que les acteurs se sont agités sur des fonds verts. On retrouve, là aussi, le même pseudo « réalisme » des jeux vidéo, qui fourmillent de détails, mais ne sont qu’une reconstitution numérique (ce que le joueur sait parfaitement, puisque le jeu ne cherche pas à lui faire croire qu’il s’agit de la réalité, à l’inverse du cinéma qui a, et c’est le cas évidemment dans 1917, cette prétention).
Ces décors ont beau se vouloir réalistes, ils sont terriblement lisses, avec une apparence lointaine et irréelle. Cette artificialisation du film est la marque de ce « tout numérique » qui a tout envahi, devenant une manière de faire exclusive et envahissante, qui conditionne tout le film.


On sait les parallèles fréquents qui peuvent se tisser entre jeux vidéo et cinéma (de eXistenZ à Avatar), mais on sait aussi qu’un spectateur n’est pas qu’un gamer frustré de ne pouvoir jouer : caricaturant les choses, 1917 apparaît simplement comme une partie réussie de Call of Duty, avec le héros qui va au bout de sa mission (on s’en doutait un peu). Mais 1917 n’est rien d’autre que cela et laisse de côté tout ce qui, derrière l’apparat et l’ambition, fait la substance même d’un film : l’intérêt d’une histoire, l’émotion et l’épaisseur des personnages, les drames et les tragédies d’une guerre, les espoirs et les désespoirs, les instants dissonants qui sortent de l’imagerie habituelle, les hésitations et les ambiguïtés, les trahisons, les doutes et mille autres moments qui font qu’un film est bien plus qu’une belle partie de jeu vidéo. Et qui font aussi, par là même, qu’un spectateur est bien plus qu’un gamer sans joystick.


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