Chantal Akerman
se lance dans une adaptation de Proust – La
Captive s’appuie sur La Prisonnière,
avant-dernier tome de La Recherche –,
auteur si opposé à l’adaptation cinématographique.
Mais Akerman,
avec son univers si singulier, ne cherche pas à transposer la phrase
proustienne à l’écran, elle ne fait pas non plus lire par une voix off des
paragraphes, ni ne reconstitue le monde de Proust du début du XXème
siècle. Comme c’est souvent le cas lorsqu’un cinéaste a un univers personnel
très marqué et qu’il s’y tient, il est à même de réellement
« adapter » : c’est-à-dire non seulement porter à l’écran, mais faire
sien une matrice qu’il raccorde à ses motifs ou à son style. Ici l’enfermement
moral et qui confine à l’aliénation – thème récurrent chez Akerman avec son rythme
très lent, parfois calqué sur les scènes en durée réelles – s’accorde avec
l’approche si fine de Proust qui délabyrinthe sa mémoire et dissèque son passé.
Après une séquence
d’ouverture qui installe parfaitement le film dans un regard proustien, avec une
évocation habile des jeunes filles en fleurs, La Captive reprend les grandes lignes du roman, troquant Albertine
pour Ariane. L’ensemble est très pictural, jouant de teintes parfois délavées,
parfois plus marquées ; de pièces dont les couloirs et les encadrements
viennent sans cesse encombrer le cadre ; d’extérieurs filmés magnifiquement.
Le rythme naturellement lent d’Akerman suit cette quête insaisissable : Simon,
obsessionnel et paranoïaque, ne supporte pas qu’une part d’Ariane lui échappe. La
splendide scène, très évocatrice, où Simon se presse contre Ariane et ce
murmure – « Andrée » – qui surgit quand il la caresse, désigne
parfaitement l’imaginaire au cœur de la relation. Et exprime ce que Simon
n’accepte pas : il y a (et il y aura toujours) une part d’Ariane qui lui échappe.
Le film préserve d’ailleurs cet inconnu impalpable puisqu’on ne saura jamais
réellement ce que pense Ariane (Sylvie Testud, avec un jeu très anémique, campe
parfaitement le rôle). Dès lors Simon devient tout à fait captif de sa paranoïa
et le bonheur n’est plus possible.
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