lundi 1 février 2021

La Femme des sables (Suna no onna de H. Teshigahara, 1964)

 


Fascinant film de Hiroshi Teshigahara, qui nous plonge dans un univers minéral filmé de façon stupéfiante, qui projette violemment l’Homme face à l’acceptation dure de son destin.

Niki, venu étudier les insectes, se retrouve prisonnier à son tour, capturé comme une fourmi par un fourmillon, au fond d’un entonnoir de sable. Cette inversion primordiale (lui qui venait étudier les insectes devient insecte à son tour) est une idée remarquable, qui sert parfaitement la puissance philosophique du film. C’est que passés la révolte, la colère, le sentiment d’impuissance ou la fuite avortée (avec l’idée géniale des sables mouvants), Niki ira jusqu’à l’acceptation de son destin, celui évoqué dans Le Mythe de Sisyphe, (auquel renvoie la tâche infinie de remplir des caisses de sable) et la conclusion d’Albert Camus lorsqu’il fait de cette acceptation le commencement de la vie elle-même. 
Par cet aspect, le film rejoint un propos en filigrane du Prisonnier d’Alcatraz de Frankenheimer.

Teshigahara filme le sable de façon étonnante, mélangeant les plans, tantôt en saisissant le sable à perte de vue, tantôt scrutant avec de très gros plans des insectes se dépêtrant dans les grains de sable. Et sa caméra capte la douceur soyeuse du sable fin, la moiteur de la cabane écrasée de soleil, et le sable qui coule comme de l’eau, l’effritement et l’engloutissement permanent, l’abstraction progressive du monde, non seulement par le dénuement, mais par ces grains qui s’immiscent sans cesse, entrent partout, recouvrent tout, les objets, les corps, la vie elle-même. C’est parce que les parois de sa prison sont friables qu’elles sont infranchissables. Et, à ces images brûlantes, répond la musique de Toru Tamiketsu, dissonante, étrange et minérale.

De cet environnement et de cette matière, Teshigahara capte l’essence même de l’affrontement : l’Homme face à la Nature englobante, face à l'immensité du désert (composé pourtant, l’image le dit sans cesse, de ces minuscules particules mouvantes qui engloutissent tout). Il parvient à saisir ce rapport de l’Homme avec cette texture si particulière – à la fois fluide et solide – du sable.
Et il compose aussi une relation particulière entre Niki et la femme, jouant avec les corps, écrasés de chaleur ou recouverts d’une fine épaisseur de sable chaud, avec la répulsion, l’attirance, l’humiliation, même, par les villageois bandits. Et le lent glissement du sable devient une métaphore sexuelle.
Le sable, alors, à la fois calvaire et révélateur, devient l’alpha et l’oméga du monde : c’est en comprenant son destin et en l’acceptant que Niki s’apaise, qu’il devient même capable de tirer une ressource de ce sable austère et brûlant.

Niki scrutant une larve de fourmilion :
lui-même sera bientôt piégé par une femme fourmilion
et scruté pareillement

Prenant l’image classique du désert pour y enfermer l’homme seul face à l’immensité du monde, Teshigahara lui fait correspondre parfaitement sa mise en scène : tantôt observateur distant et abstrait, tantôt accompagnateur brûlant de ses personnages emplis de désespoirs ou d’émotions. L’Homme, minuscule grain de sable piégé, est condamné à se réinventer, à oublier ses divertissements pascaliens pour affronter de plein fouet son destin tragique – bien plus dur à surmonter que les murailles de sable fin qui l’emprisonnent.



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