Incroyable polar
de Seijun Suzuki qui, à partir d’un film de yakuzas au scénario assez
conventionnel, déploie toute la radicalité de sa mise en scène et
toute l’étendue de son inventivité formelle.
L’ouverture en Noir
& Blanc annonce la couleur (si l’on peut dire) : Tetsu est un peu
dandy, toujours habillé d'un costume en clair, faisant face à des yakuzas tout de noir vêtus.
C’est que, habilement, Suzuki inverse les situations et si Tetsu et son patron ont
renoncé au monde des yakuzas, ils sont encore animés par des valeurs profondes
(sincérité, honneur, fidélité) quand les yakuzas purs et durs, eux, ne jurent
que par l’argent.
Mais là n’est
pas l’essentiel du film. Formellement, Suzuki, avec une liberté totale, fait feu
de tout bois, explorant et expérimentant sans cesse : il alterne des
ambiances aux couleurs criardes avec des moments dans la neige, il passe d’une Tokyo urbaine et
pop à un exil rural et sobre, il met en scène des moments chantés, il fait des digressions,
jouant de cuts brusques et de courtes ellipses, il alterne des situations de
westerns dans des décors quasi abstraits avec des scènes immergées dans la
Nature, il étire sa profondeur de champ ou au contraire applique une absence
totale de relief.
Cette incroyable
stylisation et cette liberté totale s’affranchissent de toute unité mais forment un univers visuel détonnant.
Mais c’en est
trop pour les studios évidemment : Le
Vagabond de Tokyo marque le début d’une longue traversée du désert avec la mise
au ban pour dix ans de Suzuki (après La
Marque du tueur – magnifique polar mais plus abstrait et aux accents plus melvilliens encore) par des producteurs
qui ne suivent plus ses mises en scène expérimentales et radicales.
On tient là
un magnifique exemple du cinéma de contrebandier version japonaise qui, sous
couvert de série B à la chaîne, déploie tout un arsenal stylistique personnel,
riche et foisonnant et dont l'influence (de Woo à Yinan en passant par Tarantino ou Kitano) est forte et durable.
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