On sait que le cinéma, avant même
d’être un art, est une industrie. Et l’on sait que si un film peut coûter cher,
il peut aussi rapporter beaucoup d’argent. Et l’on a même appris, depuis
Griffith, que si un film coûte extrêmement cher, alors il est aussi possible
qu’il rapporte énormément d’argent. Les producteurs connaissent
parfaitement ces mécanismes amplificateurs mais, en bons investisseurs
prudents, ils savent bien que plus le gain potentiel est important et plus le
risque est grand. Ils n’investissent donc pas leur argent sans quelques
garanties : il convient donc, si l’on veut être financé, de suivre
certaines manières de faire qui minimisent les risques d’échec – voire garantissent
le succès.
Le réalisateur, alors, n’a plus
qu’à faire son film comme l’on suit une recette de cuisine et y glisser les
ingrédients nécessaires.
- Procédés
scénaristiques :
- Respecter la structure
élémentaire du scénario en suivant les règles de base, par exemple celles
définies par B. Snyder dans son livre Save
The Cat et qui sont largement suivies à Hollywood. On y trouve le programme
précis du high concept (scénario
calibré pour un succès international), avec les différents points forts
incontournables, avec l’exposition, le catalyseur, la grande scène d’action,
puis la pause dans l’action, la fausse victoire, enfin le moment où tout semble
perdu avant le climax final, etc.
- Proposer une désignation claire
des personnages (aussi bien par des scènes dédiées qu’au travers de leur
apparence : les bons ont une bonne tête ; les méchants une tête de
méchant).
- Respecter des normes
d’exploitation (classification PG-13 par exemple : pas de sang – malgré
des destructions ou des morts en pagaille –, pas de scènes de sexe explicites,
etc.).
- Procédés techniques :
- Utiliser des procédés narratifs
simples avec peu d’effets de style (litotes, ellipses ou métaphores sont à
éviter) même si certains effets, a
contrario, sont à surligner (exemple d’un personnage surpris : acteur
très expressif + gros plan après un cut brusque + musique ad hoc).
- Le montage transparent habituel
est la norme (raccords regards, raccords mouvements, raccords dans l’axe, fondus-enchainés,
etc.).
- Les dialogues sont en
champ-contre-champ (on doit voir à l’écran celui qui parle) ; leur rôle
est purement informatif.
- Les scènes d’action ont un
rythme très élevé, avec énormément de plans très courts, pour une action
immersive (allant ponctuellement jusqu’au rythme des jeux vidéo), mais avec des
ralentis qui désignent des moments clés (notamment au cœur des scènes d’action,
lors de la mort d’un personnage, etc.).
- L’émotion est téléguidée, en
particulier au travers de scènes où les effets sont surlignés, ce qui contraste
avec un ensemble lisse. Des réparties humoristiques ou sarcastiques – qui viennent commenter l'action au moment où elle a lieu ou qui viennent rompre le ton ou l'émotion d'une scène (bathos) – sont saupoudrées ici
et là. L'idée est celle de l'esthétique du « coup de coude », comme si l'acteur, en même temps qu'il jouait, était assis à côté du spectateur dans le canapé et lui donnait régulièrement un coup de coude de connivence.
- La présence d’une bande-son aux
allures de playlist permet de pallier à l’absence de substance des images et
donne à peu de coût une émotion, quand bien même elle est factice au regard de
l’histoire. Le public cible du film est désigné par cette playlist.
- Ne pas hésiter à sonoriser en
mickeymousing pour insister sur certains effets (surprise, tension
notamment) et utiliser une musique très moderne pour achever de donner un effet
clip à certaines séquences (scènes d’action).
- Enrobage
final :
Pour servir le plat obtenu, la
présence d’acteurs bankables est la
bienvenue et la publicité se fera sur le mode de la déferlante : teasers multiples
progressivement égrenés, clips, produits dérivés, bande annonce, affichages
massifs, sortie mondiale simultanée, etc. Autant que par le film lui-même, le
blockbuster s’identifie par son matraquage publicitaire.
Le film est à consommer
immédiatement : l’exploitation ne se joue pas sur la durée mais dès le
premier week-end. Les sommes énormes récoltées permettent même, le plus
souvent, de pallier à un mauvais bouche à oreille. Le nombre de salles
distribuant simultanément le film devient alors un élément décisif dans la rentabilité du
film.
Au sein des films obtenus, des
séquences arrachées à ce cahier des charges sont très rares, même si une ou
deux minutes sont parfois grappillées par un réalisateur (le saut en parachute
sur fond de Ligeti dans le Godzilla
de Edwards par exemple). Mais, à suivre ainsi une recette qui
évite le maximum de déconvenues aux producteurs, on comprend bien que l’on est davantage
dans l’artisanat que dans l’art, quand bien même cela requiert des
compétences techniques et un professionnalisme de très haut vol. Et l'on conviendra, enfin, que cette standardisation liée à une marchandisation à outrance produit des œuvres singulièrement inauthentiques.
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