Étonnant film d’Alain Jessua qui
nous a largement habitués à des idées originales et transgressives. Une des
réussites du film est la photographie de la société française de la fin des
années 80, dans ces villes nouvelles, à demi-dortoir et semi-rurales, avec,
exposés, le problème des travailleurs immigrés (ici des Sénégalais), la
délinquance juvénile, la peur de sortir seul le soir pour les femmes et la
tentation de la milice, avec la belle idée du dressage des chiens. C’est que le
film a un regard politique assez net et surprenant puisque son discours se fait
l’air de rien mais il est très bien vu.
Le film a une étrangeté un peu
effrayante qui flirte avec la dystopie et même le fantastique, avec ces chiens
qui deviennent omniprésents et qui grondent, aboient, hantent sans cesse les
lieux, comme un poison qui se répand.
Alain Jessua a l’habileté de
rendre ces chiens utiles en intégrant dans son film un violeur qui rôde. Dès
lors l’existence de ce mal bien réel justifie le recours aux chiens d’attaque
et aux milices qui tournent la nuit.
À côté de la bonhommie de Victor
Lannoux, Gérard Depardieu campe un Morel qui est bien plus qu’un éleveur de chien :
l’air de rien, manipulateur, il transforme peu à peu la petite ville dont il
prend le pouvoir en cherchant à devenir maire. Les chiens qui sont un danger
latent ne demandant qu’à se réveiller donnent une tonalité effrayante, comme
une armée de réserve qui a pris place progressivement. Tout cela renvoie à une
dérive totalitaire manifeste – et les bergers allemands qui tirent sur leur
laisse en aboyant évoquent même le nazisme dans l’imagerie collective.
Bien sûr la métaphore est
violente mais il n’empêche : peu à peu, pour de bonnes raisons (mais cela
se fait toujours pour de « bonnes » raisons), de plus en plus de
citoyens se convertissent aux chiens. Il faut la fougue de la jeunesse pour s’y
opposer. Mais la dernière image nous empêche de rester trop optimistes : répondant
à la première image, le danger ne semble guère écarté.
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