Alors, bien sûr, comme tout acteur soumis à un public, celui-ci peut émouvoir ou laisser froid, happer l’émotion ou ne rien faire passer d’autre qu’une artificialité. Et Adjani, il faut bien l’admettre, si elle est une (très) grande actrice, à n’en pas douter, ne fait guère résonner en nous un quelconque tintement ou une quelconque vibration. Cela a sans doute à voir avec sa voix, avec la froideur de son style, avec une exubérance vite criarde, avec cette façon de s’agiter mais sans y mettre une humanité qui nous touche. Dès lors il est difficile d’être ému par un film où elle est de tous les plans.
Cela dit, au-delà de l’actrice, on
regrette que, dans ce Camille Claudel
ambitieux, Bruno Nuytten passe un peu à
côté de la ferveur créatrice. Quand l’héroïne est dans son atelier, le
réalisateur joue sur la bande sonore, pour nous faire entendre la glaise qui
est patouillée ou bien les coups de burin secs et répétés, mais tout cela est très
rapide, sans que le film prenne le temps de s’arrêter. C’est un peu dommage
dans un film de près de trois heures. Il faut se souvenir comment Jacques Becker,
par exemple, dans Le Trou, filme les prisonniers en train de creuser :
sans artifice, en temps réel, sans enfler le son, sans montage. Sans doute
aurait-il fallu, pour saisir quelque chose de Camille Claudel, s’arrêter
davantage, laisser les ciseaux marteler, les mains pétrir, les yeux contempler
les formes naissantes, sans interrompre sans cesse le plan pour nous montrer le
soir qui tombe, les pieds nus mouillés, le visage haletant de Adjani. Laisser
un peu de côté le jeu d’ombres très (trop) présent et simplement filmer un
sculpteur à l’œuvre. De sorte que Nuytten saisit bien peu, finalement, de la
création du sculpteur.
Adjani incarne très bien son personnage,
sans doute, mais celui-ci reste très superficiel, sans épaisseur (c’est le
comble pour une créatrice de forme), sans bouillonnement intérieur. C’est l’amour
qui la perfore de part en part, ce n’est pas la sculpture. Elle ne s’exprime
pas par ses mains qui pétrissent ou polissent, mais elle crie, s’agite, court,
pleure. C’était là, peut-être, sa personnalité, mais toujours est-il qu’il
devait bien y avoir des moments – très longs, secrets, loin du tumulte du
monde, dans l’intimité du personnage avec lui-même – où elle était face à la
matière – la glaise, le plâtre, le marbre – et où ce qui l’habitait sortait par
ses mains.
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