jeudi 20 octobre 2022

Camille Claudel (B. Nuytten, 1988)

 



Grand succès critique à sa sortie, Camille Claudel est habité par Isabelle Adjani, qui façonne le film tout comme un sculpteur façonne la glaise.

Alors, bien sûr, comme tout acteur soumis à un public, celui-ci peut émouvoir ou laisser froid, happer l’émotion ou ne rien faire passer d’autre qu’une artificialité. Et Adjani, il faut bien l’admettre, si elle est une (très) grande actrice, à n’en pas douter, ne fait guère résonner en nous un quelconque tintement ou une quelconque vibration. Cela a sans doute à voir avec sa voix, avec la froideur de son style, avec une exubérance vite criarde, avec cette façon de s’agiter mais sans y mettre une humanité qui nous touche. Dès lors il est difficile d’être ému par un film où elle est de tous les plans.

Cela dit, au-delà de l’actrice, on regrette que, dans ce Camille Claudel ambitieux,  Bruno Nuytten passe un peu à côté de la ferveur créatrice. Quand l’héroïne est dans son atelier, le réalisateur joue sur la bande sonore, pour nous faire entendre la glaise qui est patouillée ou bien les coups de burin secs et répétés, mais tout cela est très rapide, sans que le film prenne le temps de s’arrêter. C’est un peu dommage dans un film de près de trois heures. Il faut se souvenir comment Jacques Becker, par exemple, dans Le Trou, filme les prisonniers en train de creuser : sans artifice, en temps réel, sans enfler le son, sans montage. Sans doute aurait-il fallu, pour saisir quelque chose de Camille Claudel, s’arrêter davantage, laisser les ciseaux marteler, les mains pétrir, les yeux contempler les formes naissantes, sans interrompre sans cesse le plan pour nous montrer le soir qui tombe, les pieds nus mouillés, le visage haletant de Adjani. Laisser un peu de côté le jeu d’ombres très (trop) présent et simplement filmer un sculpteur à l’œuvre. De sorte que Nuytten saisit bien peu, finalement, de la création du sculpteur.
Adjani incarne très bien son personnage, sans doute, mais celui-ci reste très superficiel, sans épaisseur (c’est le comble pour une créatrice de forme), sans bouillonnement intérieur. C’est l’amour qui la perfore de part en part, ce n’est pas la sculpture. Elle ne s’exprime pas ses mains qui pétrissent ou polissent, mais elle crie, s’agite, court, pleure. C’était là, peut-être, sa personnalité, mais toujours est-il qu’il devait bien y avoir des moments – très longs, secrets, loin du tumulte du monde, dans l’intimité du personnage avec lui-même – où elle était face à la matière – la glaise, le plâtre, le marbre – et où ce qui l’habitait sortait par ses mains.





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