vendredi 5 mai 2023

Mémoires de nos pères (Flags of Our Fathers de C. Eastwood, 2006)





Magnifique film de Clint Eastwood, qui dépasse largement le film de guerre classique pour se livrer à une réflexion complexe et riche sur l’héroïsme, la guerre, la manière de la percevoir et de la vivre.
Comme souvent, Eastwood mélange différents moments (un temps présent et deux temps du passé, lors des combats) et il entremêle les évènements et les souvenirs qui reviennent comme autant de couches de peinture qui se superposent et donnent une épaisseur aux personnages et, par là même, au récit.

Le film prend pour argument la célèbre photo des marines au sommet du mont Suribachi lors de la prise de l’île d’Iwo Jima, photo à l’histoire étonnante – et qui ne peut que fasciner Eastwood – puisque le photographe Rosenthal (célébré pour ce cliché) capte en réalité le second planté de drapeau, celui sans risque et sans prestige. Dès lors, même ceux qui sont sur la photo ne sont pas forcément si héroïques.

Eastwood se balade entre différents époques, comme il aime à le faire, pour tisser les liens entre passé et présent et réfléchir, avec virtuosité, à ce qu’est un héros et à la réalité de cet héroïsme. Et il met ainsi en évidence progressivement, l’écart, même sincère, entre la substance et l’image : René Gagnon reconnaît qu’il a beau être sur la photo, il n’a pas tiré un coup de feu ni pris de risque. A contrario, John Bradley, beaucoup plus héroïque, a été désigné comme étant sur la photo alors qu’il n’y était pas. Mais il faisait en revanche partie des marines qui ont planté le premier drapeau, dans des conditions beaucoup plus risquées.
On le voit, les choses ne sont pas simples et la réalité elle-même est trompeuse.

Les séquences de guerre proprement dites, avec le débarquement sur l’île et les combats féroces qui s’engagent, sont éblouissantes et renvoient à la célèbre séquence du débarquement de Il faut sauver le soldat Ryan mais de façon plus complexe : la séquence est morcelée et montrée en plusieurs fois. C’est qu’il ne s’agit pas pour Eastwood, comme l’avait fait Spielberg dans son film, de construire une séquence sur laquelle s’appuiera tout le film, mais de suivre à la fois la manière dont la grande Histoire se fait (celle qui mène à la légende des marines plantant le drapeau) et la manière dont les soldats vivent l’évènement qui leur reviendra sans cesse en mémoire.


Eastwood, en revanche, déçoit beaucoup avec le film miroir qu’il tourne en même temps et qui sort dans la foulée – Lettres d’Iwo Jima – : bien loin d’être un contre-champ japonais à la vision américaine, il rate un peu son but et ne dialogue guère avec Mémoires de nos pères.

 




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