Après plus
de cinquante ans d’existence, voici donc le dernier avatar de la saga. James Bond a
bien changé et, même s’il a des fibres communes avec le 007 de Ian Fleming, Terence Young et de Sean Connery, certaines révolutions ont eu lieu, au fil du temps
d’une part, mais surtout dans les quatre derniers films, tous avec Daniel Craig.
La première
révolution est sans doute la plus importante. Il se trouve que le ton des films
a maintenant complètement changé. Les premiers opus – qui ont fondé le mythe –
sont marqués par ce sourire en coin du héros, sa décontraction naturelle. Sourire
en coin de l’agent secret, mais aussi sourire en coin du réalisateur. On sait d’ailleurs
que l’esprit général des films de la saga prend ses origines dans La Mort aux trousses. Fleming lui-même,
emballé par le charme élégant et décontracté de Cary Grant, le souhaitait comme
acteur pour interpréter 007. Or ce ton décontracté, celui de Cary Grant et de Hitchcock, qui se retrouve donc chez Sean Connery et Terence Young, s’il n’a pas
complètement disparu est désormais l’apanage du seul héros. En effet Sam Mendes,
s’il semble s’amuser encore dans la splendide séquence pré-générique qui ouvre Spectre, change ensuite de
perspective : on sent bien que le ton n’est plus à la rigolade. Et il n’y
a plus que Daniel Craig pour introduire une distanciation, un humour. Par exemple la
séquence de torture très éprouvante (et scénaristiquement gratuite) est complètement à côté de cette décontraction : on sait bien
que Goldfinger menace de découper 007 au laser mais n’y parvient pas. Ici pas
de problème, ce cher Bond se fait perforer le crâne à la perceuse médicale. De
même dans Casino Royale la séance de
torture était on ne peut plus réaliste. Mais plus que de choisir de faire
souffrir ou non Bond, plus que de choisir de laisser hors champ ou non telle ou
telle scène (avec la séquence de perceuse de Spectre, on se croirait dans Marathon Man et sa séance de torture dentaire), c’est le changement de ton qui
est ici mis en évidence : on n’est plus là pour rigoler.
Or il se trouve que, au contraire, James Bond, par essence, est là en toute décontraction. Et c’est une question de ton du film en entier, ce n’est pas seulement quelques bons mots qui font le ton d’un film. Ce revirement est très récent : sans tomber dans l’excès de la période de Roger Moore, les films mettant en scène Pierce Brosnan étaient aux aussi décontractés (par exemple dans Demain ne meurt jamais Bond est menacé de tortures terrifiantes mais il ne les subira pas).
Et ce changement de ton, on va le voir, a des conséquences très importantes.
En effet la deuxième révolution est un avatar de la première : comme on n’est plus là pour rigoler, le film cherche à être plus crédible, à montrer un 007 plus professionnel. Plus crédible, entendons-nous bien, cela ne signifie pas plus réaliste : l’enchaînement des péripéties et des dangers fait partie de l’univers fabuleux du cinéma. Mais on commence à voir la face obscure de l’agent secret – celui qui fait le sale boulot et prend des coups – alors que le 007 du début quittait peu son smoking, même au cœur de l’action. On note, par exemple, la disparition de scènes extravagantes. Lorsque la série reprend du poil de la bête, avec GoldenEye (opus discutable mais qui a relancé la machine commerciale qu’est 007), James Bond saute dans le vide dans la séquence pré-générique pour rattraper un avion sans pilote. Scène irréaliste, beaucoup trop exagérée pour être honnête. Mais au moins le réalisateur est clair : ce que vous allez voir, c’est un James Bond. Dans Casino Royale rien de tout ça : la première séquence est celle où James Bond tue pour les deux premières fois avec un maximum de réalisme. Et la fameuse séquence de course-poursuite qui ouvre ensuite le film est proposée sur le mode « énorme mais crédible ». Voilà ce que promet le nouveau 007.
On remarque aussi qu’il y a moins de gadgets dans les épisodes les plus récents. S’il y a eu une volonté (louable) de les réduire depuis l’époque des joujoux de Roger Moore, leur principe procédait d’un pay in-pay off sympa qui était une marque de fabrique du personnage. Casino Royale, en guise de gadget, nous gratifie d’un défibrillateur. On n’est vraiment pas là pour rigoler.
Or il se trouve que, au contraire, James Bond, par essence, est là en toute décontraction. Et c’est une question de ton du film en entier, ce n’est pas seulement quelques bons mots qui font le ton d’un film. Ce revirement est très récent : sans tomber dans l’excès de la période de Roger Moore, les films mettant en scène Pierce Brosnan étaient aux aussi décontractés (par exemple dans Demain ne meurt jamais Bond est menacé de tortures terrifiantes mais il ne les subira pas).
Et ce changement de ton, on va le voir, a des conséquences très importantes.
En effet la deuxième révolution est un avatar de la première : comme on n’est plus là pour rigoler, le film cherche à être plus crédible, à montrer un 007 plus professionnel. Plus crédible, entendons-nous bien, cela ne signifie pas plus réaliste : l’enchaînement des péripéties et des dangers fait partie de l’univers fabuleux du cinéma. Mais on commence à voir la face obscure de l’agent secret – celui qui fait le sale boulot et prend des coups – alors que le 007 du début quittait peu son smoking, même au cœur de l’action. On note, par exemple, la disparition de scènes extravagantes. Lorsque la série reprend du poil de la bête, avec GoldenEye (opus discutable mais qui a relancé la machine commerciale qu’est 007), James Bond saute dans le vide dans la séquence pré-générique pour rattraper un avion sans pilote. Scène irréaliste, beaucoup trop exagérée pour être honnête. Mais au moins le réalisateur est clair : ce que vous allez voir, c’est un James Bond. Dans Casino Royale rien de tout ça : la première séquence est celle où James Bond tue pour les deux premières fois avec un maximum de réalisme. Et la fameuse séquence de course-poursuite qui ouvre ensuite le film est proposée sur le mode « énorme mais crédible ». Voilà ce que promet le nouveau 007.
On remarque aussi qu’il y a moins de gadgets dans les épisodes les plus récents. S’il y a eu une volonté (louable) de les réduire depuis l’époque des joujoux de Roger Moore, leur principe procédait d’un pay in-pay off sympa qui était une marque de fabrique du personnage. Casino Royale, en guise de gadget, nous gratifie d’un défibrillateur. On n’est vraiment pas là pour rigoler.
Autre
évolution – mais c’est une évolution plus progressive (les épisodes avec Pierce
Brosnan l’annonçaient) – : la réalisation est devenue trépidante, avec des
scènes d’action hachées, typiques du montage numérique. C’est certainement une
simple actualisation des films, une modernisation : désormais les films
d’action à grands budgets suivent tous ce modèle. Mais c’est un problème :
on s’aperçoit que si les premiers James Bond marquaient la mémoire collective,
c’est aujourd’hui James Bond qui est influencé par d’autres franchises, et les
films qui le mettent en scène prennent le style d’autres héros. Il y a là un dévoiement de l’héritage cinématographique de James Bond. En effet le
rythme et la mise en scène de l’action rapprochent dangereusement les derniers
James Bond d’autres films d’action et d’espionnage, en particulier la saga
Jason Bourne (La Mémoire dans la peau…).
Si James Bond garde une apparence james bondienne (des gadgets, des costumes,
de la séduction…) l’armature du personnage et du monde qui l’entoure doit
beaucoup à Jason Bourne. Et la référence à Jason Bourne vaut pour les films
mais aussi pour les romans de Robert Ludlum : son héros est un agent secret
ultra-pro, ultra-réaliste, bien loin des facéties de James Bond chez Fleming.
James Bond, films après films, s’en rapproche.
Dernière
évolution très importante (qui accompagne et explique ce changement de
ton) : le 007 de Sam Mendes (réalisateur des deux derniers films) est un héros très
sombre. 007, désormais, agit d’abord par vengeance et par haine. C’est une
conséquence de ce qu’a cherché à faire Mendes, qui a voulu épaissir son
personnage, parler de ses débuts professionnels, de son enfance, de ses drames
passés. Du coup, les ennemis de Bond deviennent plus personnels : Skyfall n’est qu’une vendetta contre M (qui
apparaît comme une mère de substitution pour Bond) et Spectre est un mélange très confus entre une organisation
criminelle à visée mondiale et une autre vendetta, celle-ci dirigée contre Bond
lui-même. C’est bien là que le bât blesse : James Bond, qui est le
parangon des sauveurs de l’humanité, ne cherche plus qu’à se dépêtrer de petites
vendettas personnelles (que M meure ou non, cela ne change pas la face du monde,
cela risque juste de rendre Bond triste. Hum, c’est bien petit, tout cela). Que
Oberhauser, dans Spectre, soit
déterminé à tuer Bond parce qu’il a commencé à ruiner son organisation en éliminant
plusieurs de ses acolytes on peut le comprendre, mais qu’il soit aussi son
« demi-frère adoptif » (Bond ayant été adopté par le père
d’Oberhauser !?), on entre dans le délire scénaristique qui mélange tout.
Mais il y
a plus grave à vouloir ainsi humaniser 007. Dans le roman Casino Royale, Mathis, ami de James Bond, lui dit « Entourez-vous d’êtres humains, mon
cher James. Il est plus facile de se battre pour eux que pour des principes.
Mais… ne me décevez pas en devenant humain vous-même. Nous perdrions une
merveilleuse machine. »
Dès lors Fleming épargnera à son héros, dans les romans suivants, toute introspection, toute morale. Et les premiers films ont lancé le personnage sur ce modèle. Il tue ou voit se faire tuer sans émotion. C’est ainsi que s’est construit le personnage au cinéma.
Et chercher à épaissir le personnage, à l’ancrer dans un vécu, à l’humaniser, cela est certainement louable mais n'est guère possible. En effet, reprendre le personnage de James Bond impose de supporter non pas seulement l’héritage qu’a 007 lui-même, mais l'héritage qu’a le spectateur à propos de 007. Et 007 est ainsi fait, cinématographiquement, qu’il est très difficile de le changer à ce point. Ou alors c’est au risque de perdre le détachement légendaire qui fait tout le plaisir de James Bond. Un James Bond trop humain devient inévitablement tragique. Et il se rapproche alors d’autres héros de cinéma qui sont, aux aussi et dès leur création, des personnages vengeurs, ou qui se tournent vers leur passé. C’est ainsi que Bond se rapproche décidément beaucoup trop de Jason Bourne.
Dès lors Fleming épargnera à son héros, dans les romans suivants, toute introspection, toute morale. Et les premiers films ont lancé le personnage sur ce modèle. Il tue ou voit se faire tuer sans émotion. C’est ainsi que s’est construit le personnage au cinéma.
Et chercher à épaissir le personnage, à l’ancrer dans un vécu, à l’humaniser, cela est certainement louable mais n'est guère possible. En effet, reprendre le personnage de James Bond impose de supporter non pas seulement l’héritage qu’a 007 lui-même, mais l'héritage qu’a le spectateur à propos de 007. Et 007 est ainsi fait, cinématographiquement, qu’il est très difficile de le changer à ce point. Ou alors c’est au risque de perdre le détachement légendaire qui fait tout le plaisir de James Bond. Un James Bond trop humain devient inévitablement tragique. Et il se rapproche alors d’autres héros de cinéma qui sont, aux aussi et dès leur création, des personnages vengeurs, ou qui se tournent vers leur passé. C’est ainsi que Bond se rapproche décidément beaucoup trop de Jason Bourne.
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