mercredi 31 août 2016

Django Unchained (Q. Tarantino, 2012)





En sampler génial qu’il est, Tarantino a mis dans un shaker Le Bon, la brute et le truand, Mandingo de R. Fleischer et le Django de Corbucci, a secoué le tout et il en est sorti Djando Unchained. De la thématique générale au style, le film offre ainsi un beau mélange, illuminé par la maestria de Tarantino et entaché, si l’on veut, par ses excès.
Le Bon, la brute et le truand se retrouve tout au long de la première partie (le parcours des deux chasseurs de prime) et, à partir de l’arrivée dans la plantation de Candie, c’est Mandingo de Fleischer qui sert de référence (ainsi que sa suite, Drum de S. Carver, qui insiste sur les combats entre esclaves-gladiateurs). Le personnage de Candie (terrible Leonardo DiCaprio) est directement inspiré du marquis de Veve de Mandingo de même que, bien sûr, les combats à mort entre esclaves.

Le marquis Bena de Veve, instigateur de combats entre esclaves
Leonardo DiCaprio est Candie,
grand amateur de luttes à morts entre esclaves


Le Django de Corbucci, s’il est nettement évoqué à plusieurs moments (avec notamment un petit rôle donné à Franco Nero), se retrouve surtout autour de la violence sanglante qui saupoudre tout le film. C’est que Tarantino a hérité de ce goût prononcé pour la violence crue, à grand renfort de sang qui gicle. Ici ce n’est pas avec une mitraillette que Django tue à tout va mais, question efficacité, c’est du pareil au même.

Les deux Django côte à côte :
le nouveau à gauche et Franco Nero, l'original, à droite
Le style de Tarantino explose dans ce film, avec toujours autant d’aisance et de délectation. La violence, très stylisée, devient bien lassante pour qui n'a pas ce gout pour les gerbes de sang (la double séquence finale fatigue particulièrement, même avec la distance et l'ironie de Tarantino). Cette violence est souvent introduite selon la même modalité, qui vient directement d’une séquence d’introduction du Bon, la brute et le truand de Leone (1). Chez Tarantino la violence n’arrive jamais immédiatement, mais elle vient après une longue introduction, souvent constituée de dialogues, qui emmène vers un point de rupture. La première séquence du film (où Schultz abat les deux vendeurs d’esclaves) est tout à fait typique. Tarantino rajoute ici, dans la partie à Candyland, une seconde violence, celle des esclavagistes, qui est une violence pulsionnelle, soudaine, sadique. C’est celle de Candie et de ses sinistres sbires. Celle-là surgit tout à coup, sans retenue, sans prévenir. Django, après la mort de Schultz, cédera à cette violence qui conclura le film.

Dans la filmographie de Tarantino, Django Unchained suit la ligne initiée par Inglourious Basterds, puisqu’il vient se coller à l’Histoire (ce qu’indique le carton du début, situant le film peu de temps avant la Guerre de Sécession) pour mieux la falsifier : il n’y a pas eu d’esclave noir héroïque qui se sera rebellé et émancipé et qui aura vengé et libéré ses frères.
Sa description du Sud esclavagiste ne fait pas dans la finesse (à l’inverse de Mandingo) avec des Blancs qui sont tous d’épouvantables raciste, pervers et violents. Il n’y a guère que Schultz pour être préservé question racisme (malgré son cynisme il n’a pas de haine contre les Noirs, même si moralement, pour le reste c’est un tueur). Django, puisqu’il vit une situation qui justifie la violence (il veut libérer sa femme) est moralement épargné (à l’inverse de ses ancêtres cinématographiques des westerns italiens). Le film prend donc position de façon très radicale mais très simpliste (Mandingo, là encore, est beaucoup riche). La seule hésitation vient de Stephen, le serviteur noir qui trahit ses frères noirs, et le seul inconfort vient de l’émancipation de Django, qui n’est possible en définitive que par Schultz.

Django, dans une belle évocation du Grand silence
Si l’on se réjouit qu’un western ait un tel succès, on regrette qu’il soit un descendant en droite ligne des westerns italiens (stylistiquement bien sûr, mais aussi dans son récit centré sur une vengeance). Encore une fois la richesse thématique du cinéma américain (malgré les références appuyées à Mandingo) semble oubliée. Le western se trouve une nouvelle fois enfermé dans une forme dont il a bien du mal à s’extraire et qui le font complètement méconnaître du public non cinéphile.



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(1) : Reprenons ce que nous disions à ce propos : 
« La seconde séquence du film (lorsque la brute Lee Van Cleef rend visite au fermier qu’il finira par abattre) contient tous les ingrédients du cinéma, à venir, de Quentin Tarantino : le rythme est lent, le réalisateur prend son temps, s’attache à des détails triviaux (une discussion tout en mangeant de la soupe), avec une tension sous-jacente qui monte (on sait qu’il va se passer quelque chose). L’explosion de violence est soudaine et radicale. Tarantino refera très précisément cette séquence (au début d’Inglourious Basterds) mais c’est, de façon plus générale, tout son cinéma qui est irrigué par cette manière de faire. C’est d’ailleurs à la fois une qualité de Tarantino (il est passionné par une esthétique précise) et un défaut, puisqu’il fait à la manière d’un maniériste. C’est donc un style, ontologiquement, assez caricatural. Reste que sa vista lui permet de faire « à la manière de Leone » de façon brillante, enlevée, facilement jouissive, fluide et en déclinant dans de très nombreuses variantes ce schéma de base. »

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