Les historiens
considèrent souvent que la conquête de l’Ouest (The American Frontier en anglais) s’est achevée à la fin du XIXème
siècle, période précise de la naissance du cinéma (la première projection publique
des frères Lumière a lieu à la fin de l’année 1895). Cette simultanéité est
remarquable et a une conséquence importante : à peine l’Histoire
était-elle achevée, qu’il y avait un moyen d’expression pour en rendre compte.
C’est ainsi que le cinéma, aussitôt, a entrepris de raconter la conquête de
l’Ouest. Mais, inévitablement, cette mise en récit de l’Histoire l’a
transformée (on ne peut raconter l’Histoire sans, ce faisant, la transformer) et,
aussitôt, l’a installée au rang de mythe. Ce mythe devient celui des origines
de la Nation américaine, depuis l’arrivée des premiers colons jusqu’à
l’établissement des villes sur la côte Ouest.
C’est ainsi que
le cinéma devient le porteur du récit des origines (1).
L’écart devient
rapidement important entre la réalité historique des événements et leur version
cinématographique.
La Piste des géants (R. Walsh, 1930) |
À cet égard le
déménagement des producteurs vers la côte Ouest est décisive : les
premiers films prenaient pour décor naturel un environnement assez boisé, voire forestier mais le nouvel environnement de l’Ouest – le désert – va rapidement
devenir emblématique. De même, la volonté de montrer des films spectaculaires
et surtout « américains » (pour concurrencer les importations
françaises de Gaumont et Pathé) va entraîner une domination de plus en plus
importante des westerns à thématique de guerres indiennes sur fond de désert.
Dans le même temps, et cela malgré la perte de véracité historique, le cinéma, parce qu’il est un média de masse répandu à travers tout le pays, est investi d’une mission civilisatrice : celle d’éduquer le peuple, en particulier les immigrés, pour leur raconter le roman de la nation.
Dans le même temps, et cela malgré la perte de véracité historique, le cinéma, parce qu’il est un média de masse répandu à travers tout le pays, est investi d’une mission civilisatrice : celle d’éduquer le peuple, en particulier les immigrés, pour leur raconter le roman de la nation.
Comme ces
premiers moments de l’histoire de la Nation sont principalement des récits de
convois qui s’avancent à travers les plaines et bravent mille dangers, ou bien de
pionniers qui tentent de fonder des communautés ou encore de combats contre les
Indiens, on comprend que c’est le genre
du western qui a pris en charge ce récit des origines.
Le western devient ainsi beaucoup plus qu’un genre parmi d’autres, il devient celui qui définit l’américanité. La question, dès lors, qui taraude le western, peut se résumer à celle-ci : qu’est-ce qu’être américain ? Et les réponses qui s’accumulent, à mesure que le genre se codifie, définissent progressivement ce qu’est un américain.
Les réponses, bien entendu, sont multiples, et elles ont une portée aussi bien collective qu’individuelle.
Le western devient ainsi beaucoup plus qu’un genre parmi d’autres, il devient celui qui définit l’américanité. La question, dès lors, qui taraude le western, peut se résumer à celle-ci : qu’est-ce qu’être américain ? Et les réponses qui s’accumulent, à mesure que le genre se codifie, définissent progressivement ce qu’est un américain.
Les réponses, bien entendu, sont multiples, et elles ont une portée aussi bien collective qu’individuelle.
L’aspect
collectif s’exprime dans le western au travers de la confrontation à la frontière, mot pris dans le sens d’un espace
de confrontation, où les colons blancs affrontent la Nature. Il s’agit ici de
la nature sauvage, de la wilderness,
qui comprend le désert, les montagnes, la chaleur, le manque d’eau, les serpents,
mais aussi les Indiens, qui sont inclus comme des éléments dangereux de cette
Nature. Et la mission des colons – mission d’ordre Divin, telle qu’exprimée
dans la Destinée Manifeste – est de civiliser cette nature sauvage.
La nation
naît de cette confrontation : les communautés se fondent et les peuples
s’unissent. De nombreux films montrent les Blancs, les Noirs, les émigrés
polonais, chinois ou italiens, lutter ensemble et vaincre la nature. C’est le
cas dans Le Cheval de fer ou La Piste des Mohawks de J. Ford.
Ainsi, pendant
une cinquantaine d’années, le western raconte comment l’Amérique est née de
cette prise de possession de la nature sauvage. Bien sûr cela justifie en
passant le massacre des Indiens, la destruction de leurs moyens de subsistance
(les bisons) et la préemption de leurs territoires.
Au niveau individuel, deux grandes images s’opposent : celle du pionnier qui s’installe et s’attache à une terre et celle du personnage sans cesse en mouvement, qui, au contraire, n’a aucune attache.
Au niveau individuel, deux grandes images s’opposent : celle du pionnier qui s’installe et s’attache à une terre et celle du personnage sans cesse en mouvement, qui, au contraire, n’a aucune attache.
Les westerns
regorgent de l’un ou l’autre de ces personnages : avec d’un côté le fermier,
depuis le père de famille qui cultive sa petite parcelle jusqu’au grand
propriétaire terrien qui possède toutes les collines environnantes, qui correspond
à cet attachement au terroir. Et de l’autre côté ces personnages solitaires,
qui ne se fixent jamais, qui sont éclaireurs, gunfighters ou prospecteurs et
qui regardent sans cesse vers l’horizon.
Certains films
expriment parfaitement cette dualité : L'Homme des vallées perdues par exemple (avec le personnage de Shane qui vient prêter main forte à une famille
de fermiers), L’Homme qui n’a pas d’étoile
(Dempsay Rae qui refuse de laisser les prairies être clôturées), Je suis un aventurier (avec Jeff Webster
qui aspire, un jour à se fixer), ou La
Ruée vers l’Ouest (avec Yancey qui se marie avec une femme qui n’aspire
qu’à se fixer mais qui en est lui-même bien incapable) expriment les difficultés pour concilier les deux univers.
Ces idées,
déclinées de mille manières, constituent le cœur du western durant un
demi-siècle. Puis, à partir des années cinquante, la réalité historique
vient cogner à la porte du mythe : sous les influences multiples et successives des mouvements des droits civiques puis de la guerre du Vietnam, plusieurs westerns commencent à considérer les Indiens
non plus comme des éléments de la nature mais comme un peuple qui était là
avant les colons blancs. Le western lève un coin du voile :
l’émergence de la nation s’est faite avec le massacre des Indiens.
L'Homme des vallées perdues (G. Stevens, 1953) |
D. Daves (La Flèche brisée), A. Mann (La Porte du diable), puis A. De Toth (La Rivière de nos amours) ou J. Ford (Les Cheyennes) brisent peu à peu les
codes du western et donnent une part de plus en plus importante aux
Indiens : il devient clair que l’on ne peut plus, désormais, simplement
traiter l’Indien comme un sauvage hurlant et agressif. La conquête de l’Ouest
s’est faite en massacrant les Indiens et en volant leurs terres :
désormais on ne peut plus le cacher. Le western révisionniste, ensuite, à partir des années soixante-dix, oblige le genre à
changer d’angle : de Little Big Man
à Danse avec les loups en passant par
Soldat bleu, la réhabilitation des
Indiens se fait dans la dénonciation de l’extermination dont ils furent
victimes.
La légitimation
par la Destinée manifeste ne vaut plus : dans Little Big Man, le Dieu évoqué est celui des Indiens, non pas le
Père des Chrétiens, mais le Grand-père, celui qui était là avant.
Le western
devient très conscient de ce retournement : J. Ford lui-même, qui a tant
participé à la codification du genre (il est l’un de ceux qui a le mieux filmé
le déferlement de hordes d’Indiens qui attaquent la diligence), exprime
parfaitement la constitution du mythe, au détriment de la réalité, dans L’Homme qui tua Liberty Valance : la
réalité n’est pas ce que vous croyez avoir vu, nous dit-il, et cette réalité
n’est pas forcément belle à voir.
C’est ainsi que le western ne peut plus, aujourd’hui, développer des idées anciennes avec une fausse naïveté. Les westerns qui continuent de traiter les Indiens comme dans les années quarante ou qui continuent de jouer naïvement avec les images mythologiques apparaissent à la fois anachroniques et superficiels. Qu’il s’agisse de L’Or de MacKenna ou du plus récent Appaloosa, on est ici dans l’utilisation de vieilles recettes qui ne peuvent plus fonctionner. Si Appaloosa évoque Warlock, il en est une version bien pâlichonne et considérablement appauvrie et vidée de son sens.
C’est ainsi que le western ne peut plus, aujourd’hui, développer des idées anciennes avec une fausse naïveté. Les westerns qui continuent de traiter les Indiens comme dans les années quarante ou qui continuent de jouer naïvement avec les images mythologiques apparaissent à la fois anachroniques et superficiels. Qu’il s’agisse de L’Or de MacKenna ou du plus récent Appaloosa, on est ici dans l’utilisation de vieilles recettes qui ne peuvent plus fonctionner. Si Appaloosa évoque Warlock, il en est une version bien pâlichonne et considérablement appauvrie et vidée de son sens.
Si des westerns
peuvent encore être réalisés, c’est soit en tenant compte de réalités
historiques que l’on ne peut plus faire semblant de ne pas connaître, soit en
enlevant tout sens au film. C’est cette seconde voie qui a été exploitée par le
western italien : en se concentrant sur la forme, en simplifiant
considérablement le genre et en le dispensant de toute réflexion, il a permis
une revitalisation spectaculaire du genre. Cette italianisation du genre a
permis, en retour, à Hollywood de produire des westerns tout en évitant de se
frotter aux cadavres dans le placard (Les Huit salopards, la version récente des Sept mercenaires). Mais cette revitalisation n’est que superficielle :
rares sont désormais les westerns innovants ou qui proposent d’aller plus loin encore
dans ce rapport à l’Histoire (mais ils existent et peuvent être excellents :
par exemple Impitoyable de C.
Eastwood, qui est une éblouissante revisite du genre, ou Dead Man de J. Jarmusch, très innovant).
La Prisonnière du désert (J. Ford, 1956) |
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