Incroyable film de Kim Ki-young qui démarre sur les bases d’un mélo aux
résonances sociales avant de dynamiter le genre et de se diriger vers un film
d’horreur de plus en plus sadique.
L’arrivée d’une domestique qui va faire voler en éclat la famille qui
l’emploie devient ainsi l’occasion d’un incroyable mélange de critique sociale,
de grotesque (certaines séquences sont grand-guignolesques), d’humour
(l’adresse au spectateur) et d’horreur sadique. Cette servante va peu à peu
prendre l’ascendant sur le mari et détruire, de façon retorse et perverse, tout
ce qui peut unir ce couple et ses deux enfants. Lee Eun-shim, l’actrice qui
joue la servante, est inoubliable : avec ses yeux de biche elle semble
dans un premier temps effacée, avant de devenir de plus en plus inquiétante,
avec des regards tour à tour furieux, suppliants ou haineux.
L’utilisation du décor est exceptionnelle : l’organisation de la maison résume à elle seule tout ce qui se joue dans la famille : au rez-de chaussée – avec la cuisine et l’atelier (où la femme s’échine toute la journée sur sa machine à coudre) – se croisent la femme et la servante tandis que la pièce du haut est réservée au mari. Et c’est dans cette unique pièce à l’étage (agréable, avec ses baies vitrées, loin de l’enfermement des pièces du bas) que le mari donne ses leçons de piano. L’escalier qui permet d’accéder à cette pièce permet donc beaucoup plus que de monter un étage : il symbolise l’ascension et la réussite sociales, auxquelles accède l’homme et qui sont refusées aux femmes. Et, bien sûr, la servante, qui très vite se confronte à la femme légitime, n’a de cesse de vouloir l’emprunter pour accéder à cette pièce nichée en haut.
Kim Ki-young filme donc sous tous les angles cet escalier, cœur de la tragédie qui va se nouer. La mise en scène fait alors fi de tout réalisme et construit progressivement une atmosphère aliénante, délirante, avec des angles de caméra improbables, des cadrages outrés, un hors-champ soigneusement utilisé et des lumières baroques. Il se crée alors une tension complexe, mélange d’érotisme (avec la servante ruisselante sous la pluie), d’angoisse, de perversion.
Il faut remarquer à quel point le réalisateur prend le parti de la servante : ses actes cruels semblent justifiés par ce patriarcat puissant qui oppresse les femmes et les maintient dans le huis clos des pièces du bas, quand lui fume tranquillement ses cigarettes à l’étage.
De nombreux réalisateurs, de Park Chan-wook à Bong Joon-ho, se
réclameront de La Servante, s’en
inspireront ou citeront explicitement le film (par exemple dans Mademoiselle de Park Chan-wook).
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