Plus que
l’histoire des deux amants (qui se séparent, se retrouvent, se perdent, etc.),
c’est bien sûr l’esthétique du film qui en fait son principal intérêt. Wong
Kar-wai, on le sait, c’est d’abord un style et une manière de regarder le monde.
Son travail de l’image et du cadre est permanent et il joue constamment d’accélérations,
de ralentis, de moments de pause ou d’arrêt. Et l’on passe de ses habituelles voix-off
à des disputes, de couleurs sépias à des noirs et blancs magnifiques, de flashes
colorés à des éclats de couleurs passées. Tantôt la caméra se fige dans le coin
d’une pièce, tantôt elle suit les personnages, les accompagnant doucement ou
les laissant s’éloigner dans la profondeur du champ.
Sans tomber dans
le maniérisme (qui semble confiné, dans sa filmographie, aux Cendres du temps), Wong Kar-wai joue,
innove et surprend sans cesse. Certaines séquences et certains enchaînements
sont d’une beauté fulgurante.
La promiscuité physique
des amants homosexuels est remarquablement filmée, non pas tant au niveau
sexuel (même si l’ouverture du film donne le ton d'une sensualité qui imprègne
tout le film) mais davantage encore dans cette vie dans l’appartement minuscule
ou lorsque Lai Yiu-fai s’occupe de Ho Po-wing blessé, dans ces cadres serrés,
dans le jeu avec les espaces.
Et, au-delà de l’histoire
de Lai et Ho, on retrouve dans Happy
Together des motifs typiques de Wong Kar-wai, avec ce ton de solitude, de
rendez-vous manqués, d’attente. On retrouvera d'ailleurs directement plusieurs séquences du film dans le curieux road-movie My Blueberry Nights. Happy Together est lui aussi, à sa
façon, un road-movie inachevé, qui tourne sur lui-même, ramenant le personnage principal à son point de départ et l’incitant peut-être à repartir.
Et le choix de
laisser le film en suspens, dans une fin très ouverte, est aussi tout à fait
habituel – et magnifique – chez le réalisateur.
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