Bien avant les
prêchi-prêcha bien-pensants sur le « vivre-ensemble » (néologisme
inventé quand la question a commencé à désespérer de sa réponse), Spike Lee
brosse le portrait d’un quartier de Brooklyn, avec ses habitants et, surtout, les
équilibres précaires entre communautés.
Il circonscrit
la ville à quelques rues et restreint l’action à quelques groupes : les Noirs,
les Italiens, les Coréens et, faisant irruption, les bad cops blancs. Et il
met en scène son petit monde dans une atmosphère étouffante, qui va entrer
progressivement en ébullition.
Et c’est avec
une esthétique hip-hop assez innovante (le film épouse les codes musicaux du quartier
qu’il met en scène) que Spike Lee donne la parole à chacun et se permet un ton
tragi-comique avant que le film ne bascule vers l’émeute et la révolte urbaine.
Le cœur du cœur du
problème, nous dit Spike Lee, reste l’impossible communication qui fait
exploser les rages contenues. Le Coréen qui parle si mal anglais, la radio
hurlante qui empêche de parler. Tout part de malentendus, d’incompréhensions
qui s’incrémentent. Ces incompréhensions se cristallisent par l’image pour Sal
dans sa pizzeria, avec les photos qu’il a affichées au mur et qui seront les
premières étincelles décisives, ou par la musique avec Jackson le présentateur radio
et, bien sûr, Rakeem qui ne quitte jamais sa radio hurlante.
Spike Lee se place
au cœur de l’explosion de violence, à travers son personnage de Mookie qui,
jusqu’alors, était davantage un trait d’union entre communautés (un Noir qui
travaille chez les Italiens). Mookie est aussi l’occasion de filmer des moments
doux, sensuels, que ce soit dans la rue, entre voisins, ou entre amoureux. Mais
c’est aussi lui qui, après l’intervention dramatique des policiers, alors que l’instant
était suspendu et que tout pouvait encore se calmer (1), met définitivement le feu
aux poudres lors de l’émeute (fait-il, alors, « the right
thing ? »). L’émeute, alors, se déchaîne contre la pizzeria de Sal.
Mais comment exprimer sa colère contre des flics blancs qui ne font que passer,
tuer et repartir ?
S’il donne bien
des circonstances atténuantes aux Noirs ou aux Italiens, le regard du
réalisateur sur les policiers blancs est lapidaire. La référence au prêche
célèbre de Mitchum de La Nuit du chasseur
(avec Radio Raheem et ses bagues en coup de poing américain qui le rejoue face caméra)
prend alors tout son sens en désignant clairement les forces du mal.
Cette question
du geste de Mookie reste en suspend jusqu’aux deux citations qui ferment le
film, l’une de Martin Luther King et l’autre de Malcolm X, qui disent combien
la réponse violente ou non-violente aux exactions est au cœur des questions de
Spike Lee. Celui-ci continuera d’ailleurs à creuser la question (que faire face
aux violences des Blancs contre les Noirs ?) de Malcolm X à BlacKkKlansman.
Spike Lee est
ainsi plus que jamais d’actualité aux Etats-Unis puisque les dernières élections
présidentielles se sont cristallisées autour de ces questions ethniques, avec
Obama d’abord et avec Trump, plus encore, ensuite. On remarquera aussi que, s’il
est un cinéaste très engagé, il réalise néanmoins des films qui ne sont pas des
caricatures lourdes et vaines, mais qui cherchent à exposer avec une certaine volonté
de nuances (au moins sur certains points) des situations sociales et
communautaires complexes.
(1) : Ce
moment de suspension avant que tout bascule évoque la fameuse séquence finale
de La Horde sauvage où, là aussi, le
carnage aurait pu être évité.
________________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire