Et vogue le navire commence avec un prologue
exceptionnel, construit autour d’un jeu de caméra qui est un film dans le film,
partant du cinéma des frères Lumière (on n’entend que le bruit de la pellicule
qui tourne), puis en augmentant le rythme du défilement des images, puis le
noir et blanc devient sépia puis de plus en plus coloré et, ensuite seulement,
Fellini reprend le film à son compte.
Et le film, qui
décrit une célébration funéraire, est bien plus que le simple enterrement d’une
diva dont on va disperser les cendres : c’est l’enterrement de tout un
monde qui est montré. Et ce monde, peuplé de personnages outranciers, parfois
grotesques – très felliniens– sont la décadence d’un monde merveilleux. On a
envie de pleurer, parfois, devant ces arts envolés, ce cinéma disparu, celui,
prodigieux, du cinéma italien depuis la seconde guerre, cinéma italien pour
lequel – Fellini le sent parfaitement – les années 80 seront presque fatales, à
la fois du fait du vieillissement des génies (réalisateurs, acteurs ou
scénaristes des décennies passées) et des coups de butoir de la télévision. La
fin, qui nous montre l’envers du décor, achève de signifier à quel point le
film est un propos (et un hommage) sur le cinéma.
L’image – qui
fait écho à la tonalité funèbre du film – est étrange, douce, calme, aux couleurs
feutrées, avec une mélancolie et un onirisme qui percolent sans cesse. C’est
ainsi que, comme si souvent chez Fellini, le film est émaillé de séquences
magiques et improbables, où l’art se déploie sans retenue, comme lors de la
visite dans la salle des machines où chacun finira par entonner un tour de
chant.
A travers ces
jeux de décors et ces caricatures, le film est une déclaration d’amour triste
au cinéma, à ses personnages, avec un regard plein de douceur et d’empathie, en
réalité, pour ce monde passé menacé par le monde moderne, tout comme le navire
qui, inquiété par le cuirassé qui gronde, va finir par sombrer.
On retrouve –
traitée différemment – la décadence d’une aristocratie telle que Renoir la
montre dans La Règle du jeu. Mais,
nous dit Fellini, ces aristocrates, pour égocentriques et hautains qu’ils
puissent être, sont néanmoins passeurs : c’est à travers eux que l’opéra
prend corps. Avec leur disparition prochaine, c’est donc tout un art qui va
disparaître. De même que chez Renoir, Fellini joue avec les écarts entre
classes sociales, qui vivent dans des univers séparés, mais dont le film va
brouiller les frontières, avec la visite de la salle des machines, les jeux
musicaux en cuisine ou, bien sûr, en confrontant les artistes – qui sont
jusqu’alors tout à fait coupés du monde – aux réfugiés, pauvres et errants.
Fellini joue
avec le spectateur, brisant le quatrième mur sans cesse, par l’artifice du
prologue, par ses décors déconnectés de tout réalisme et, bien sûr, grâce à
Orlando, journaliste-chroniqueur qui s’adresse à nous sans cesse. Et le film se
termine sur cette image du rhinocéros, à la fois drolatique et optimiste :
lui, Fellini, le vieux rhinocéros, est encore là pour nous enchanter.
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