Véritable OVNI cinématographique, ce très
beau film de Georges Franju – d’une beauté sombre et presque désespérante –
envoûte le spectateur et, tout à la fois, le choque volontiers, notamment avec
sa fameuse séquence d’opération chirurgicale. Il faut dire que, au milieu du
film, Franju n’hésite pas : il montre en plein écran et quasiment en durée
réelle le docteur qui opère sa patiente martyrisée pour lui enlever la peau du
visage. Sans coup férir et sans s’en remettre à un hors-champ salutaire, il montre
le maniement du bistouri et des pinces pour retirer du visage un masque de peau
fine. Il avait déjà filmé, dans Le Sang des bêtes, le giclement de sang des carcasses à l'abattoir. Ici il enlève le sang mais rajoute l’application chirurgicale : froide, précise et monstrueuse.
Cette séquence choc – encore difficile à voir aujourd’hui – crée une tension très forte qui donne une dimension extraordinaire à l’horreur du médecin qui cherche à sauver sa fille. Alors que jusqu’ici le spectateur ne disposait que d’indices pour comprendre les tenants et aboutissants des manigances du docteur (faire croire que sa fille est morte, lui faire porter un masque, etc.), toute la folie de cet homme et toute l’horreur de ce qui se trame dans le sous-sol de son manoir apparaissent alors.
Pierre Brasseur, d’une implacable froideur sobre, campe un docteur Génessier taiseux qui contient ses douleurs (il est responsable de l’accident de sa fille) mais ne recule devant rien pour la soigner. Cette idée de faire se rejoindre la médecine et l’horreur n’est pas nouvelle mais elle est portée ici avec une noirceur incandescente remarquable.
Lorsque l’on comprend que l’opération a échoué et que le docteur doit recommencer sa terrible greffe, le souvenir de l’opération précédente hante le spectateur. Franju, on l’a compris, maîtrise totalement l’art cinématographique et il construit son film avec des images qui ne cessent de s’opposer : elles sont parfois douces et sombres ou bien violentes et surexposées, parfois glaçantes de réalisme ou étranges avec leur onirisme presque baroque.
Edith Scob est
étonnante et participe de l’étrangeté du film : avec son masque, elle
déambule dans le château. Son physique étiré (sa taille gracile, ses proportions toutes en longueur, son cou) donne une poésie nonchalante à ses déplacements et ses traits de visage doux et sans une ride créent une confusion étrange, comme si, lorsque l’on voit son visage, elle portait encore un masque (ce qui est vrai en quelque sorte puisqu’elle porte la peau
d’une autre).
Et la fin est
remarquable, mêlant à la fois l’horreur (le docteur dévoré par les chiens) et
la poésie la plus étrange (Christiane qui s’enfonce dans la nuit, blanche et
légère, une colombe posée sur l’épaule).
Les Yeux sans visage trouvera de
nombreux échos dans les films d’horreur, où l’image d’une femme ligotée sur une
table d’opération et menacée par un bistouri est devenue une vision classique
de l’épouvante. Et il aura un magnifique hommage dans le très beau et très
troublant La piel que habito de
Almodovar.
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