mercredi 20 juin 2018

L'effet Koulechov appliqué aux spectateurs



Si l’effet Koulechov est un élément bien compris et utilisé depuis longtemps dans l’art du montage, il existe une variante de cet effet sur le spectateur lui-même à l’échelle du film entier. L'effet Koulechov désigne l'influence d'un plan sur celui qui lui succède : c'est-à-dire qu'un plan ou une image est ressenti par le spectateur non pas de façon isolée mais en fonction des images que le spectateur vient de voir juste avant.
Appliqué au spectateur lui-même (et au film entier), l’idée est qu’il est très difficile d’arriver devant un film sans en avoir déjà entendu parler ou sans en avoir déjà, même à peine, une idée. Dès lors le film est vu à travers le prisme d’un a priori qui peut avoir une influence considérable sur le spectateur.

Aller voir un film qui nous est vivement conseillé crée une attente inévitable qui peut provoquer, a contrario, un effet de déception. Inversement on peut être surpris par un film dont on aura entendu maintes critiques défavorables mais qui nous aura touchés. A tel point que l’on parle volontiers de « grande déception » ou de « bonne surprise ».
Il faut prendre en compte, également, les conditions dans lesquelles on voit le film et qui interfèrent : selon que l’on est seul, en couple, en groupe, selon que la soirée, après le film, est mémorable (et le film, alors, fait partie de cette belle soirée), selon que l’on attend cette sortie depuis longtemps, que l’on hésite beaucoup ou même que l’on rechigne à y aller, etc.

Eviter cet effet est d’ailleurs très difficile (il est bien rare que l’on regarde un film sans rien en savoir ou que l’on s’engouffre au cinéma pour prendre un ticket au hasard pour la prochaine séance) : cela supposerait que l’on arrive devant l’écran vierge de toute influence et de tout écho du film, ce qui est extrêmement rare.
Pour les films relayés par les médias, il est à peu près impossible d’éviter le battage publicitaire. Sans parler du déferlement médiatique qui accompagne la sortie des blockbusters, la promotion des films fait partie intégrante, par exemple, des contrats de nombreux acteurs. Les retrouver sur les plateaux télé, les entendre à la radio, lire leurs interviews dans des journaux spécialisés, participer à des festivals, sont autant d’occasions pour eux de nous convaincre d’aller voir leur dernier film. Ne parlons pas des bandes-annonces qui sont des publicités qui – tout en ne disant rien du style ou de l’atmosphère du film – révèlent parfois les trois-quarts du récit.

L’histoire du cinéma – la réputation historique du film – peut également jouer : comment, aujourd’hui, découvrir Citizen Kane – c’est-à-dire avoir sur lui un œil totalement neuf – sans avoir eu vent de la réputation du film, sans se dire que le film que l’on va voir est fondamental et qu’il a été révolutionnaire ?



Ajoutons enfin qu’il peut être indispensable, pour certains genres de films ou pour certains auteurs difficiles, d’en savoir un peu tout de même sur ce qui nous attend. Se retrouver sans crier gare devant Massacre à la tronçonneuse n’est pas forcément une bonne idée, non plus que de se retrouver par hasard devant Le Sacrifice de Tarkovski, avec son style austère et ses dialogues abondants et abscons.

Il ne reste plus au spectateur qu'à bien prendre conscience de cet effet inévitable  et potentiellement décisif  sur la manière qu'il a de ressentir un film.


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