Si l’effet Koulechov est un élément bien compris et utilisé depuis longtemps dans l’art du montage, il existe une variante de cet effet sur le spectateur lui-même à l’échelle du film entier. L'effet Koulechov désigne l'influence d'un plan sur celui qui lui succède : c'est-à-dire qu'un plan ou une image est ressenti par le spectateur non pas de façon isolée mais en fonction des images que le spectateur vient de voir juste avant.
Appliqué au spectateur lui-même (et au film entier), l’idée est qu’il est très difficile d’arriver devant un film sans en avoir déjà entendu parler ou sans en avoir déjà, même à peine, une idée. Dès lors le film est vu à travers le prisme d’un a priori qui peut avoir une influence considérable sur le spectateur.
Aller voir un
film qui nous est vivement conseillé crée une attente inévitable qui
peut provoquer, a contrario, un effet
de déception. Inversement on peut être surpris par un film dont on aura entendu
maintes critiques défavorables mais qui nous aura touchés. A tel point que l’on
parle volontiers de « grande déception » ou de « bonne
surprise ».
Il faut prendre
en compte, également, les conditions dans lesquelles on voit le film et qui
interfèrent : selon que l’on est seul, en couple, en groupe, selon que la soirée, après le film, est mémorable (et le film, alors, fait partie de cette belle soirée), selon que l’on
attend cette sortie depuis longtemps, que l’on hésite beaucoup ou même que l’on
rechigne à y aller, etc.
Eviter cet effet
est d’ailleurs très difficile (il est bien rare que l’on regarde un film sans
rien en savoir ou que l’on s’engouffre au cinéma pour prendre un ticket au
hasard pour la prochaine séance) : cela supposerait que l’on arrive devant
l’écran vierge de toute influence et de tout écho du film, ce qui est
extrêmement rare.
Pour les films
relayés par les médias, il est à peu près impossible d’éviter le battage
publicitaire. Sans parler du déferlement médiatique qui accompagne la sortie
des blockbusters, la promotion des films fait partie intégrante, par
exemple, des contrats de nombreux acteurs. Les retrouver sur les
plateaux télé, les entendre à la radio, lire leurs interviews dans des journaux
spécialisés, participer à des festivals, sont autant d’occasions pour eux de
nous convaincre d’aller voir leur dernier film. Ne parlons pas des bandes-annonces qui sont des publicités qui – tout en ne disant rien du style ou de l’atmosphère du
film – révèlent parfois les trois-quarts du récit.
L’histoire
du cinéma – la réputation historique du film – peut également jouer : comment,
aujourd’hui, découvrir Citizen Kane –
c’est-à-dire avoir sur lui un œil totalement neuf – sans avoir eu vent de la
réputation du film, sans se dire que le film que l’on va voir est fondamental
et qu’il a été révolutionnaire ?
Ajoutons enfin qu’il peut être indispensable, pour certains genres de
films ou pour certains auteurs difficiles, d’en savoir un peu tout de même sur
ce qui nous attend. Se retrouver sans crier gare devant Massacre à la tronçonneuse n’est pas forcément une bonne idée, non
plus que de se retrouver par hasard devant Le Sacrifice de Tarkovski, avec son style austère et ses dialogues abondants
et abscons.
Il ne reste plus au spectateur qu'à bien prendre conscience de cet effet inévitable – et potentiellement décisif – sur la manière qu'il a de ressentir un film.
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