mercredi 21 novembre 2018

Le Brigand bien-aimé (Jesse James de H. King, 1939)




Grand western de Henry King (qui fut un immense succès à sa sortie), à la distribution magistrale (avec Tyrone Power et Henry Fonda en tête d’affiche) et qui est un très bel exemple de la prise en main par le cinéma d’un personnage réel autour duquel toute une mythologie est construite. Ici, dans ce film fondateur, Jesse James est présenté d’abord comme une victime (il est présenté d’abord comme un fils de ferme, vêtu presque comme un dandy), avant, progressivement, de devenir bandit, bandit qu’une rédemption finale ne sauvera pas. Si le film s’appuie sur plusieurs éléments véridiques, il en élude d’autres (notamment le passé sudiste du personnage, pourtant déterminant dans son parcours) ou les aménage dans un sens choisi (la mort de sa mère par exemple).
Henry King filme résolument du côté de Jesse  James (et le titre français le dit bien), en légitimant ses actes et en ridiculisant la Compagnie de chemin de fer (qui est montrée comme ayant des méthodes de bandit avec des menaces et des violences physiques pour racheter les propriétés à vil prix). Et comme Barshee tue la mère de Jesse (alors que, dans la réalité, elle n’a été que blessée lors de l’attaque par la milice), sa colère légitime justifie son premier meurtre. Rançonner les chemins de fer apparaît alors comme une réaction à un premier vol, celui que fait la Compagnie sur les fermiers (c’est le côté Robin des bois de Jesse James).

On notera cependant que, progressivement, après les premières attaques et après que Jesse s'est rendu (et après qu’il a été trahi par le directeur de la Compagnie), il devient de moins en moins dandy : se terrant dans la montagne, ne voyant sa femme que de plus en plus épisodiquement, son allure même devient progressivement celle d’un bandit.
Alors que le film est avant tout une histoire de hors-la-loi, on peut observer que, paradoxalement, les femmes occupent une place déterminante. C’est la mère qui canalise ses fils avant, par sa mort, de légitimer leur action. C’est Zee, ensuite, qui tient, tant que possible, Jesse, en l’empêchant de commettre plusieurs forfaits et en obtenant de lui qu’il se livre. Quand il devient réellement bandit (et que le réalisateur, alors, ne cautionne plus ses actes), il est éloignée de Zee qui souffre de cette absence. C’est elle, enfin, qui obtient qu’il arrête ses crimes et gagne sa vie dignement.



Le film présente le chemin de fer non pas comme un progrès civilisateur, symbole de la confrontation à la Frontière (comme c’était le cas, par exemple, dans Le Cheval de fer de Ford), mais comme un élément capitaliste de spoliation : la Compagnie est montrée comme une grosse entreprise qui vole les petites gens. Cela dit le film ne va pas jusqu’au bout de sa logique puisque King n’aborde jamais, ni de près ni de loin, ce que signifierait une société où la Compagnie serait vaincue : une disparition du chemin de fer ? un frein à la civilisation ? Dès lors, la trajectoire de Jesse ne peut être que vaine et tragique. King, en réalité, élude le problème et n’hésite pas à montrer, en fin de film, le chemin de fer comme symbole du progrès.

La séquence finale de l’assassinat, très célèbre, sera reprise de nombreuses fois, avec des variations très intéressantes (1). Ici, Jesse James a choisi d’arrêter sa vie de hors-la-loi (cédant ainsi aux supplications de Zee et influencé de façon décisive par les enfants qui jouent dehors), de se consacrer à Zee et de gagner honnêtement sa vie. C’est alors qu’il est lâchement assassiné.



Le film aura un grand succès ce qui conduira naturellement – suivant la logique des studios – à une suite, réalisée par Fritz Lang (Le Retour de Frank James) qui reprend plusieurs acteurs, à commencer par Henry Fonda (Frank James) et John Carradine (Bob Ford). Les nombreuses revisites du mythe reprendront toujours, de près ou de loin, ce film fondamental de Henry King.



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(1) : Le déroulement de la séquence se déroule à chaque fois de la même façon (qui est très proche, semble-t-il, de l’histoire officielle) : alors que Jesse monte sur une chaise pour ajuster un tableau accroché au mur (tableau indiquant God Bless Our Home), Bob Ford lui tire dans  le dos. Il se fait assassiner alors qu’il est décidé à partir pour vivre une autre vie aux côtés de Zee et de ses enfants.
- Chez N. Ray (The True Story of Jesse James), Jesse, là aussi, est bien décidé à se ranger (visuellement c’est la version la plus proche de celle de King). Et il rajuste un tableau (indiquant Hard Work Spells Success), quand il reçoit une balle dans la nuque.
- Chez S. Fuller (J’ai tué Jesse James), l’assassinat intervient après 20 minutes de film, alors que Jesse semble bien las, prêt à accéder à la demande de Zee de ne plus être hors-la-loi.
- Chez W. Hill (Le Gang des frères James), en revanche, Jesse est assassiné alors qu’il est prêt à repartir pour une nouvelle attaque de banque.
- Enfin chez A. Dominik (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) c’est tout le film qui semble centré sur cette scène finale (comme le titre du film l’indique). En effet cette scène intervient toujours brutalement dans les autres films, mais ici elle est comme une destinée tragique qui s’accomplit, avec un lent déclin du personnage qui l'emmène jusqu'à son assassinat.
La séquence s’étire dans le temps et Jesse semble fatigué, usé, et il se laisse abattre. Il sent parfaitement la mort venir et met en scène cette mort, en plaçant ses armes bien soigneusement, puis en offrant aux frères Ford une occasion de le tuer en leur tournant le dos (il veut épousseter un tableau au mur (le tableau représente sobrement un cheval)). Jesse voit l’arme pointée et se laisse abattre, d’une balle dans la tête là aussi. On ne sait si Dominik filme la fin de Jesse James ou s’il filme une reprise épurée et élégiaque du film de King.

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