Très grand film
d’Elio Petri, qui s’appuie sur un scénario brillant, une forme angoissante et
sur la performance de Gian Maria Volontè pour dénoncer la mécanique autoritaire
du pouvoir alors que se profilent les années de plomb (le film anticipe
d’ailleurs de quelques mois ce qui allait advenir dans les années 70 en
Italie).
Le docteur (dottore – chef de la section politique)
illustre parfaitement l’autorité et la soumission auxquelles se soumettent les
individus. Avec ses phrases cassantes, ses postures intimidantes et ses
rapports de force constants, Gian Maria Volontè est terrible et monstrueux. L’épisode
avec le plombier est tout à fait génial. Il illustre le rapport de force de
tout un chacun avec l’autorité : le plombier est sommé par le dottore de décrire ce qu'il a vu mais, dans le même temps, c’est cette même démonstration d’autorité
qui l’empêche de parler, puisque ce serait accuser le dottore lui-même. Dès lors le
pauvre plombier n’ose plus dire ce qu’il a vu.
Le récit
s’articule alors autour d’une très grande idée scénaristique – le dottore commet un
meurtre, laisse pléthore d’indices accablants et est en charge de l’enquête –
qui fait mouche : les enquêteurs ne
voient rien et ne comprennent pas alors qu’ils ont tous les indices sous les
yeux. Leurs yeux sont tout à fait fermés : la culpabilité du dottore n’est
pas dans le champ des possibles.
Et cette idée
enrichit considérablement le personnage du dottore – qui serait sans cela
efficace mais monolithique – en le construisant autour d'un paradoxe : il cherche à se faire prendre (d’où les indices
disséminés) et, dans le même temps, cherche à démontrer qu’il ne peut pas se
faire prendre. Quand ses enquêteurs pataugent, il leur redonne un indice ou un témoin,
témoin qui sera bientôt écrasé par son autorité.
Si le personnage
est monstrueux (monstrueux de sadisme et de perversion), c’est tout le système
qui est écrasant. Les différents enquêteurs sont des rouages soumis et serviles
et l’honnête citoyen, lui, préfère rester en dehors de tout ça (il n’est que le
jeune agitateur, par sa provocation, qui parvient à échapper au rapport de
force : il préfère ne pas dire ce qu’il a vu, frustrant ainsi le dottore). Le
dottore, n’est en fait, pour le spectateur, que la partie visible, révélatrice
(dans le sens d’un révélateur chimique) du système.
Le film se
conclut sur une double fin : une première (qui n’est peut-être qu’une vision)
où le dottore tente coûte que coûte de convaincre ses supérieurs qu’il est
coupable. Mais rien n’y fait, l’institution refuse absolument et balaye les
preuves (de façon parfois amusante, comme lorsque tous montrent leurs
chaussures identiques). La seconde fin – ses supérieurs, à nouveau, viennent le
voir – n’est qu’amorcée et reste ouverte (la première était-elle un
songe ?).
On retrouve la
même dureté et le même relationnel uniquement envisagé sous forme de rapport de
force dans le personnage du capitaine Vidal du Labyrinthe de Pan, et même si Vidal n’a pas la complexité du dottore
de Petri, lui aussi envisage les rapports aux autres uniquement sur le mode
d’un rapport de force et d’une soumission d’autrui.
Plutôt que les films-dossiers typiques de Francesco Rosi (L'Affaire Mattei, Cadavres exquis, etc.) ou les polards sombres de Fernando Di Leo (Milan calibre 9), on tient peut-être là le film qui rend le mieux compte des sinistres années de plomb italiennes.
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