jeudi 20 décembre 2018

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto de E. Petri, 1970)




Très grand film d’Elio Petri, qui s’appuie sur un scénario brillant, une forme angoissante et sur la performance de Gian Maria Volontè pour dénoncer la mécanique autoritaire du pouvoir alors que se profilent les années de plomb (le film anticipe d’ailleurs de quelques mois ce qui allait advenir dans les années 70 en Italie).
Le docteur (dottore – chef de la section politique) illustre parfaitement l’autorité et la soumission auxquelles se soumettent les individus. Avec ses phrases cassantes, ses postures intimidantes et ses rapports de force constants, Gian Maria Volontè est terrible et monstrueux. L’épisode avec le plombier est tout à fait génial. Il illustre le rapport de force de tout un chacun avec l’autorité : le plombier est sommé par le dottore de décrire ce qu'il a vu mais, dans le même temps, c’est cette même démonstration d’autorité qui l’empêche de parler, puisque ce serait accuser le dottore lui-même. Dès lors le pauvre plombier n’ose plus dire ce qu’il a vu.
Le récit s’articule alors autour d’une très grande idée scénaristique – le dottore commet un meurtre, laisse pléthore d’indices accablants et est en charge de l’enquête – qui fait mouche : les enquêteurs ne voient rien et ne comprennent pas alors qu’ils ont tous les indices sous les yeux. Leurs yeux sont tout à fait fermés : la culpabilité du dottore n’est pas dans le champ des possibles.
Et cette idée enrichit considérablement le personnage du dottore – qui serait sans cela efficace mais monolithique – en le construisant autour d'un paradoxe : il cherche à se faire prendre (d’où les indices disséminés) et, dans le même temps, cherche à démontrer qu’il ne peut pas se faire prendre. Quand ses enquêteurs pataugent, il leur redonne un indice ou un témoin, témoin qui sera bientôt écrasé par son autorité.



Si le personnage est monstrueux (monstrueux de sadisme et de perversion), c’est tout le système qui est écrasant. Les différents enquêteurs sont des rouages soumis et serviles et l’honnête citoyen, lui, préfère rester en dehors de tout ça (il n’est que le jeune agitateur, par sa provocation, qui parvient à échapper au rapport de force : il préfère ne pas dire ce qu’il a vu, frustrant ainsi le dottore). Le dottore, n’est en fait, pour le spectateur, que la partie visible, révélatrice (dans le sens d’un révélateur chimique) du système.
Le film se conclut sur une double fin : une première (qui n’est peut-être qu’une vision) où le dottore tente coûte que coûte de convaincre ses supérieurs qu’il est coupable. Mais rien n’y fait, l’institution refuse absolument et balaye les preuves (de façon parfois amusante, comme lorsque tous montrent leurs chaussures identiques). La seconde fin – ses supérieurs, à nouveau, viennent le voir – n’est qu’amorcée et reste ouverte (la première était-elle un songe ?).



On retrouve la même dureté et le même relationnel uniquement envisagé sous forme de rapport de force dans le personnage du capitaine Vidal du Labyrinthe de Pan, et même si Vidal n’a pas la complexité du dottore de Petri, lui aussi envisage les rapports aux autres uniquement sur le mode d’un rapport de force et d’une soumission d’autrui.

Plutôt que les films-dossiers typiques de Francesco Rosi (L'Affaire MatteiCadavres exquis, etc.) ou les polards sombres de Fernando Di Leo (Milan calibre 9), on tient peut-être là le film qui rend le mieux compte des sinistres années de plomb italiennes.

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