Film volontiers
très dérangeant de Mickael Haneke, qui réussit à mettre le sujet de la violence
– et surtout celui du spectateur face à la violence – au cœur du débat. C’est
que Funny Games, à l’instar d’Orange mécanique ou de Tueurs nés, est un film qui prend la
violence pour sujet.
Pour développer son
idée, Haneke joue sur deux ressorts. Tout d’abord la très grande violence que
déchaînent les deux jeunes adultes sur la pauvre famille est toute à fait
gratuite : celle-ci n’a rien fait à ceux-là qui puisse justifier ou expliquer
le sort qu’ils leur réservent. C’est là, bien entendu, la source d’un grand
malaise : en tant que spectateur, on a besoin que la violence, quand elle
se déchaine, soit motivée. Mais tout cela est tout à fait gratuit et Haneke la
filme aussi comme tout aussi inéluctable (comme le prouve la séquence où le
film est rembobiné par l'un des tueurs, pour « sauver » son comparse,
tué juste avant par la femme qui avait réussi à mettre la main sur un fusil).
Autre pièce
importante du (mini)puzzle proposé par Haneke : c’est la place donnée au
spectateur. Tout à coup, alors que les deux adolescents sont dans leurs jeux
d’horreur, l’un d’eux se tourne vers l’écran et fait un clin d’œil,
délibérément, au spectateur dans la salle. Cette relation de complicité forcée
est une place que Haneke construit pour le spectateur et l’y assigne. Un peu
comme Hitchcock pouvait le faire (on se souvient de la chaise collée à l’écran
et restée vide, dans La Mort aux trousses,
lors d’une réunion des agents secrets : c’est bien sûr la chaise du
spectateur), mais là où Hitchcock jouait sans cesse avec le spectateur,
tournait autour de lui, lui donnant des indices que le héros n’a pas, lui en
cachant d’autres, détruisant son identification ou la détournant, Haneke reste
plus linéaire et moins complexe : avec le clin d’œil à la caméra, le
spectateur est complice. Complice du crime, complice de la violence. Haneke joue
un peu sur le même ressort que C’est
arrivé près de chez vous de Belvaux, où les documentaristes d’abord uniquement témoins deviennent
peu à peu complices puis acteurs des meurtres.
Nous sommes tous
coupables nous dit Haneke (il le redira dans Le Ruban blanc, et discutait déjà de la culpabilité des images dans
Benny’s video). Cette thématique de
la culpabilité rejoint celle de Fritz Lang, notamment, mais qui la traitait de
façon beaucoup plus interrogative et, par là-même, beaucoup plus complexe (par
exemple dans L’Invraisemblable vérité,
où la question de l’identification est entièrement à revoir lors du twist
final). Chez Haneke les choses restent frustres et radicales, sa didactique ne s’embarrasse
guère de subtilités.
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