vendredi 23 octobre 2020

Le Moment de la vérité (Il momento della verità de F. Rosi, 1965)




On peut ne pas aimer la boxe et, pourtant, adorer The Set-Up ; on peut être indifférent au théâtre japonais et être subjugué par le Conte des chrysanthèmes tardifs ; on peut détester les voitures et la mécanique et être sidéré par Crash : lorsqu’un film parvient à nous passionner alors qu’il est centré sur un domaine qui, de prime abord, ne nous passionne pas, c’est toujours le signe que quelque chose se passe à l’image. Avec Le Moment de la vérité, Francesco Rosi fait pulser à l’écran une vitalité et une émotion extraordinaires. Il touche quelque chose d’indiscernable et parvient à saisir les suspensions du temps, avant l’entrée dans l’arène, ou dans cet espace entre l’homme et le taureau, quand l’un et l’autre se font face et ne bougent plus, qu’ils se touchent presque, se touchent finalement, seuls au milieu de la foule.

Intrigant à plus d’un titre – puisque, d’une part, il s’agit d’un film italien tourné en Espagne et que, d’autre part, il n’a rien à voir avec les films-dossiers habituels du réalisateur – ce film de Rosi, construit autour d’un scénario très simple, parvient à saisir une vérité du monde, à en capter une humeur.
On peut bien sûr voir le film comme une métaphore de l’Espagne sous le satrape de Franco, pays blessé et saigné comme le taureau dans l’arène ; on peut aussi voir une critique sociale avec Manuel – ce péon qui rêve d’argent et d’émancipation – d’abord aliéné par sa condition puis aliéné, ensuite, par son promoteur. Mais là n’est pas le cœur battant du film. Avec de très gros objectifs qui transpercent la foule pour venir cueillir le regard de l’homme fixé sur le taureau, Rosi saisit la substance des choses. Il scrute Miguel avant son entrée en scène, happé, déjà, par le taureau.


Rosi se garde bien de juger la corrida (on voit de nombreux taureaux, lardés de banderilles, être plantés des lances des picadors et, l'épée d'estocade enfoncée jusqu’à la garde, s’affaler dans la poussière, du sang dégorgeant du mufle), il ne la magnifie pas non plus, simplement il la filme. Miguel, d’ailleurs, torée non pas par passion mais, très prosaïquement, pour l’argent, pour s’élever socialement et rompre la fatalité qui le voudrait continuer à travailler dans les champs avec son père.

On l’a compris : par une singularité cinématographique, il a fallu que le meilleur film sur la tauromachie soit italien. Et, bien plus qu’un simple film sur la tauromachie, il est un film exceptionnel.


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