On peut ne pas
aimer la boxe et, pourtant, adorer The Set-Up ; on peut être indifférent au théâtre japonais et être subjugué par le Conte des chrysanthèmes tardifs ;
on peut détester les voitures et la mécanique et être sidéré par Crash : lorsqu’un film parvient à
nous passionner alors qu’il est centré sur un domaine qui, de prime abord, ne
nous passionne pas, c’est toujours le signe que quelque chose se passe à
l’image. Avec Le Moment de la vérité,
Francesco Rosi fait pulser à l’écran une vitalité et une émotion
extraordinaires. Il touche quelque chose d’indiscernable et parvient à saisir
les suspensions du temps, avant l’entrée dans l’arène, ou dans cet espace entre
l’homme et le taureau, quand l’un et l’autre se font face et ne bougent plus,
qu’ils se touchent presque, se touchent finalement, seuls au milieu de la
foule.
Intrigant à plus
d’un titre – puisque, d’une part, il s’agit d’un film italien tourné en Espagne
et que, d’autre part, il n’a rien à voir avec les films-dossiers habituels du
réalisateur – ce film de Rosi, construit autour d’un scénario très simple,
parvient à saisir une vérité du monde, à en capter une humeur.
On peut bien sûr
voir le film comme une métaphore de l’Espagne sous le satrape de Franco, pays
blessé et saigné comme le taureau dans l’arène ; on peut aussi voir une
critique sociale avec Manuel – ce péon qui rêve d’argent et d’émancipation –
d’abord aliéné par sa condition puis aliéné, ensuite, par son promoteur. Mais
là n’est pas le cœur battant du film. Avec de très gros objectifs qui
transpercent la foule pour venir cueillir le regard de l’homme fixé sur le
taureau, Rosi saisit la substance des choses. Il scrute Miguel avant son entrée
en scène, happé, déjà, par le taureau.
Rosi se garde
bien de juger la corrida (on voit de nombreux taureaux, lardés de banderilles,
être plantés des lances des picadors et, l'épée d'estocade enfoncée jusqu’à la garde,
s’affaler dans la poussière, du sang dégorgeant du mufle), il ne la magnifie
pas non plus, simplement il la filme. Miguel, d’ailleurs, torée non pas par
passion mais, très prosaïquement, pour l’argent, pour s’élever socialement et
rompre la fatalité qui le voudrait continuer à travailler dans les champs avec
son père.
On l’a
compris : par une singularité cinématographique, il a fallu que le meilleur
film sur la tauromachie soit italien. Et, bien plus qu’un simple film sur la
tauromachie, il est un film exceptionnel.
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