jeudi 27 novembre 2025

Force majeure (P. Jolivet, 1989)

 



Force majeure, s’il dispose d’un scénario intéressant, pâtit d’une réalisation qui ne donne aucune force au sujet. C’est bien dommage, avec la question que pose le film il y avait de quoi sonder les âmes de Philippe et Daniel, les deux personnages rattrapés par leur passé. D’autant plus que, intelligemment, le film dit très peu de Hans, personnage clef, que l’on voit à peine et que le spectateur – comme les deux personnages d’ailleurs – connaissent mal.
Mais la réalisation, si elle est appliquée, reste très terne. Il n’y a rien qui viennent épaissir, dramatiser, faire gonfler d’effroi Philippe et Daniel qui, s’ils tergiversent, ne sont pas fouillés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes (ce que la situation, pourtant, devrait provoquer)
Il faut dire aussi que les personnages sont trop caricaturaux et qu’ils sont trop construits en antinomie l’un par rapport à l’autre pour être vraiment crédibles (le normalien parisien aspirant-chercheur opposé au chômeur lillois à la vie déjà traversée de misère sociale). D’ailleurs quand ils se retrouvent après un an et demi, ils n’ont plus grand-chose à se dire, tant leurs deux mondes s’opposent. Et Daniel (François Cluzet, qui surjoue comme bien souvent) en rajoute dans l’impulsivité irresponsable (l’achat d’un blouson neuf sitôt l’argent encaissé est ridicule et fige son personnage).
La fin, néanmoins, est réussie puisque l’incertitude de la réaction des deux protagonistes (et donc de leur départ vers l’Asie) est conservée habilement jusqu’au bout.


lundi 24 novembre 2025

Manchester by the Sea (K. Lonergan, 2016)

 



Très beau et très dur film de Kenneth Lonergan qui emporte le spectateur dans une petite communauté de marins-pêcheurs aux côtés de Lee, dont on comprend vite que le passé l’a ravagé. Une partie du film se fait d’ailleurs dans l’attente de ce qui a pu se passer autour du personnage alors que, dans le même temps, un autre drame se joue (la mort du frère de Lee qui se retrouve avec son neveu perdu au milieu).
Le film joue alors d’un montage savant pour entremêler des séquences en flash-backs qui, peu à peu, mènent jusqu’au moment du terrible drame. Lonergan choisit de le faire revenir à la mémoire de Lee lors d’un moment de crise (nouvelle crise donc) puisqu’il voit son neveu lui être confié par testament. Et le moment de drame – et quel drame ! –, s’il est amené au milieu d’un fait quotidien parfaitement banal, est surligné par l’adagio d’Albinoni dans un choix osé (tant la musique surligne les images) mais que Lonergan parvient à faire passer. On admire la dernière image de cette terrible séquence, avec les bateaux amarrés au port qui tanguent sous la neige.
Le film, pourtant, devient plus puissant encore lorsqu'il s'éloigne un peu de son personnage proincipal. Plutôt que de tourner presqu’exclusivement autour de Lee – personnage éteint et traumatisé qui mettra beaucoup de temps avant de montrer une quelconque fêlure comme indice d’humanité – le film devient brillant quand il fait un pas de côté pour montrer comment la vie dans la petite communauté parvient à repartir après le traumatisme. La rencontre entre Randi et Lee, à ce titre, est prodigieuse. C’est dans cette scène filmée au hasard d’une rencontre que la caméra vise juste en montrant comment la vie, peu à peu, malgré le passé, malgré les souffrances, malgré les contradictions (Randi qui aime Lee, avec qui plus rien n’est possible, envers et contre tout), la vie, donc, continue et reprend son cours, comme elle peut. Le fils aussi, malgré son deuil et sa vie paumée entre la petite communauté où il veut rester et Boston juste à côté, qui navigue d’une fille à l’autre, poursuivant à tâtons sa vie de jeune adulte, avec ses espoirs, ses colères, ses crises d’angoisse (la séquence du congélateur), tout cela est parfaitement saisi par la caméra de Lonergan. Plus, finalement, que Lee, fermé et impénétrable, chez qui la vie ne semble pas parvenir à repartir.
On notera combien les acteurs – avec Casey Affleck dans le rôle principal (l’acteur est parfait même si son personnage est un peu excessif dans son renfermement) mais aussi dans les différents rôles secondaires – sont tout à fait remarquables.


jeudi 20 novembre 2025

La Légende de Zatoïchi : Le Masseur aveugle (Zatōichi monogatar de K. Misumi, 1962)

 



Grand classique japonais du chanbara des années 60, le film donnera lieu à une multitude de suites. Dans la foulée du film matriciel Yōjinbō et du Sanjuro de Kurosawa, le film ravira les fans qui verront une des premières pierres d’un genre majeur du cinéma asiatique.
Mais, loin des habitudes endiablées du genre (avec les films de Chang Che ou Fujita) ici la mise en scène est calme et lente, avec peu d’action, celle-ci se contentant d’éclatements brusques (un peu suivant l’exemple de Sanjuro) même si le combat final s’étale davantage.
Le personnage de Zatoichi, très travaillé, s’épaissit de façon originale (au milieu de personnages trop caricaturaux, sauf peut-être pour son adversaire principal habilement rapproché par le scénario) : mélancolique et sage, il cherche à être en retrait du monde et toute l’intrigue vient de ce monde (celui des yakuzas) qui ne le laisse pas tranquille (sa position d’ancien yakusa le contraignant à se positionner et à s’impliquer, malgré lui).


lundi 17 novembre 2025

Les Combattants (T. Cailley, 2014)

 



Premier film réussi de Thomas Cailley qui montre une énergie et un ton assez plaisants.
Pourtant le combat des combattants du titre, s’il se veut très moderne – le film montre des jeunes d'aujourd’hui face au désarroi du monde, face à ses désordres et face aux peurs qu’il provoque –, ce combat, donc, oublie que les jeunes adultes ont toujours été une zone de balancement des marées à l’heure de se jeter dans la vie active, à l'heure des premières romances sérieuses ou de la pression du monde adulte. Madeleine, d’ailleurs, par bien des aspects, représente tout à fait cette hésitation de la fin de l’adolescence, lorsqu’il faut se jeter dans le monde adulte. Mais l’habileté du film est dans le too much de Madeleine, dont le mutisme boudeur et renfrogné trop exagéré devient un élément comique. L’échappée belle, en revanche, lorsque les deux partent en mode survivalistes, ne convainc guère.
Le film doit beaucoup à cet humour décalé qui est comme une teinte donnée au film, un coloris savamment dosé et qui, sans en avoir l’air, change tout. Toute la lourdeur, le trop plein de sérieux (les sentiments, le frère aîné, la vision de cette jeune adulte un peu paumée) sont lissés par ce décalage bien trouvé par l’humour.
C’est le personnage de Madeleine qui est réussi, avec Adèle Haenel au jeu efficace (mais faussement sobre) est pas si simple à jouer : à la fois souple et butée, elle apparaît sans cesse en porte-à-faux du monde, toujours à côté, aussi bien dans son rapport aux autres, à ses parents, aux éléments, qu’à l’armée, évidemment, dont elle rêve mais à laquelle est bien incapable de se soumettre.
Si le film est très dans l’air du temps, il se contente d’en extraire une situation et on lui sait gré de ne pas en faire un discours. La fin, d’ailleurs, est amusante : malgré leurs avatars et l’échec de leur échappée survivaliste, le duo se retrouve avec toujours la même volonté de combattre. Un combat pur, en soi, sans que Cailley n’édicte réellement le contre qui ni le contre quoi.
Le film renvoie d’une certaine façon à Take Shelter de Nichols, qui restait très sérieux et allait vers des interrogations graves questionnant jusqu’à la santé mentale du personnage. Ici Cailley aborde le sujet par un autre bout, sincère et plus léger, entre jeunes et humour, décalage et dérision.


samedi 15 novembre 2025

Sur un fil (K. Reda, 2024)

 



Sur un fil, pourtant empli de bonnes intentions, peine à émouvoir et à emporter le spectateur. Le film est un peu cousu de fil blanc et joue d’un registre un peu facile.
Il faut dire que chercher à émouvoir en passant les trois-quarts d’un film auprès d’enfants malades dans un hôpital est un peu convenu et, pour tout dire, un peu exaspérant.
On notera aussi qu’Aloïse Sauvage, qui tient le rôle principal, n’est guère convaincante et elle est bien peu émouvante, avec ce personnage de clown naïf et timide – qui sert de relai dans cette découverte des enfants malades – et qui se prend au jeu peu à peu, exactement comme on pouvait s’y attendre. Et, bien sûr, le personnage se guérit autant qu’il guérit les autres, là non plus on ne s’y attendait pas.
Dès lors le film est sans véritable enjeu, sans surprise et il emmène là où l’on pensait bien qu’il emmènerait : difficile, alors d’être pris, surpris, ému par les personnages ou les situations.


mercredi 12 novembre 2025

Hiver à Sokcho (K. Kamura, 2024)

 



Axé sur une relation qui n’en est pas une et qui ne mènera nulle part (ce que l’on pressent tout de suite), Hiver à Sokcho est peu prenant et peu émouvant. La faute peut-être à cette manière de convoquer d’emblée des codes du film asiatique qui provoque une attente : contemplatif et lent, le film renvoie à cette humeur si particulière et si typique que l’on retrouve dans tant de films asiatiques, de Hou Hsia Hsien à Kore-eda en passant par Jia Zangke, pour prendre différents univers cinématographiques. La faute peut-être aussi à Roschdy Zem qui surjoue son personnage dans un registre qui se veut pourtant sobre. L’acteur devrait faire peu et rester renfermé mais il en fait trop et la sauce ne prend guère (le personnage, en soit, est très crédible, mais Zem ne parvient pas à l’habiter réellement).
Il y a bien un traitement esthétique dédié à chacun des deux personnages et tout le scénario joue du rapprochement entre eux – aussi bien dans la narration que dans l’esthétique (cela fonctionne bien dans la séquence au restaurant notamment) – rapprochement qui, on l’a dit, n’aboutit pas. Cela dit, si l’entente entre les deux personnages avait dû aboutir, aurions-nous été surpris ? Le film alors, semble coincé dans des codes de représentation et dans des jeux scénaristiques desquels il ne parvient pas à s’extraire réellement. Et si la visite dans la zone démilitarisée ou la recherche d’un restaurant sont des séquences réussies, Hiver à Sokcho peine à convaincre.


vendredi 7 novembre 2025

Overdose (O. Marchal, 2022)

 



Auteur de solides polars qui ont fait sa réputation, Olivier Marchal se perd en route : film après film ses intrigues se réduisent, ses personnages s’amincissent et il ne reste que l’apparat (les scènes d’action) qui s’enchaînent autour d’une histoire à laquelle on a bien du mal à accrocher.
C’est bien dommage, il avait cette faculté à mélanger des personnages, à leur donner une épaisseur tragique, à les coincer dans des engrenages qui les dépassaient peu à peu. Tout cela est laissé de côté, dans Overdose, au profit d’un go fast qui dégénère.
A dire vrai, si l’on est déçu, on est peu surpris : Marchal suivait une pente descente dans ses derniers films. Les Lyonnais, puis Bronx étaient déjà très en-dessous de ses meilleurs films et il n’y avait guère que Benoît Magimel pour tenir Carbone à bout de bras.


mercredi 5 novembre 2025

Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry de W. Allen, 1997)

 



Sans être un film majeur du réalisateur, on pourrait choisir Harry dans tous ses états si l’on voulait montrer ce qu’est, presque dans son essence la plus pure, un film de Woody Allen.
Le film met ainsi en scène un personnage, Harry Block, qui fait largement écho au réalisateur et qu’il interprète évidemment (il s’agit donc bien sûr d’un intellectuel juif new-yorkais écrivain qui parle en long et en large de ses névroses et de ses histoires de femmes). Le film s’amuse ensuite à des mises en abymes permanentes jouant de plusieurs niveaux de la fiction dans la fiction : comme les romans de Harry mettent en scène sa propre vie (tout comme le fait Woody Allen dans ses films), le film s’amuse à le confronter avec les personnages qu’il invente dans ses romans et autres nouvelles, mélangeant ainsi les couches de fiction, dans un joyeux bazar très réussi, empli de trouvailles (le personnage qui devient flou !) et de bavardages en tous sens. Harry s’emmêle les pinceaux entre les personnages qui peuplent sa vraie vie et ceux qu’il a inventé et qui sont largement inspirés, il faut dire, de ceux qu’il côtoie. Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre, ce soit encore la rêver disait Marcel Proust. L'ami Woody en fait une version toute personnelle : à croire qu’il faut mieux s’inventer une vie que la vivre, nous dit-il, encore que.
Le film évoque bien sûr le brillantissime Stardust Memories, que Allen avait réalisé quelques années plus tôt, comme quoi ses sempiternelles interrogations ne semblent guère trouver de réponses.
C’est ainsi que le film plaira, sans doute, aux afficionados du réalisateur, quand les autres, de leur côté, seront sans doute rapidement lassés des facéties bavardes du génial Woody.


samedi 1 novembre 2025

Bastion 36 (O. Marchal, 2025)

 



Il semble bien loin, pour Olivier Marchal, le temps où il proposait des polars solides et travaillés. Désormais, il semble se cantonner à des films d’actions sans saveur, sans personnages intéressants, qui s’agitent au gré de scénarios poussifs. Toute la séquence d’introduction, inutile et banale, pourrait résumer à elle seule les tares du film.
C’est ainsi que Bastion 36, un peu comme Overdose avant lui, manque cruellement d’intérêt. Et ce n’est pas le manque de charisme de Victor Belmondo, son acteur principal, qui arrange les choses. Et l’on se demande si Marchal saura s’éloigner des scènes d’actions à coups de grosses cylindrées qui démarrent en vrombissant sur fond de rap pour revenir à des films plus travaillés et davantage captivants.