dimanche 3 septembre 2017

Les Cheyennes (Cheyenne autumn de J. Ford, 1964)




Ce dernier western de John Ford montre bien l’immense chemin parcouru par le réalisateur au cours de sa carrière. Alors que dans ses premiers films (Le Cheval de fer ou Stagecoach un peu plus tard) les Indiens ne sont que des sauvages, des éléments de la nature hostile qui dévalent en hurlant les collines pour attaquer la diligence ou les convois de pionniers, il prend ici fait et cause pour les Indiens, les place au cœur du film et montre les trahisons, les délaissements et la lâcheté qu’ils doivent subir de la part des Blancs. Montré comme un peuple noble subissant injustice et humiliation, Ford exprime ce que les westerns classiques ont occulté : la conquête de l’Ouest, la confrontation à une nature sauvage et, par là-même, la constitution de la nation, se sont faits au détriment d’un peuple légitime qui a été décimé.
Ford revisite ainsi le mythe de l’Ouest tel qu’il a été présenté pendant cinquante ans par une multitude de westerns. L'Indien est décrit comme une victime et non plus comme une menace. Certes Ford n’est pas le premier à changer de point de vue sur les Indiens (on pense à La Porte du Diable ou à La Flèche brisée) mais le film est important puisque Ford lui-même a beaucoup contribué à assimiler des Indiens à des sauvages hurlants.
Une scène résume parfaitement le propos du réalisateur, lorsque le sergent Wichowsky, dans le cadre serré et sombre d’une tente, refuse devant son capitaine de resigner pour continuer à se battre dans l’armée si c’est pour se battre comme un Cosaque. Il explique que, en Pologne, les Cosaques tuent les Polonais juste parce qu’ils sont Polonais et que maintenant l’armée tue des Indiens juste parce qu’ils sont des Indiens.
Ford, comme souvent, magnifie les paysages, dans un rythme lent qui crée une harmonie splendide entre ce peuple noble et vieillissant et la nature immense. Ce faisant il réhabilite les Indiens sur leur territoire (de nombreuses séquences se déroulent au cœur du Monument Valley).


Fidèle à lui-même Ford est très à l’aise avec des scènes intimes ou des personnages pittoresques. Il s’amuse d’ailleurs avec une séquence où il revisite les personnages de Wyatt Earp et de Wild Bill Hicock, dont il confie les rôles à des guests stars truculentes (James Stewart et Arthur Kennedy), et leur fait rejouer, sur un ton de comédie ironique, des scènes classiques.


Le film rejoint ainsi L’Homme qui tua Liberty Valance, précédent western de Ford, en ce qu’il revisite les mythes et légendes de l’Ouest, mythes et légendes que Ford a lui-même contribué à fonder au cinéma.
Après ces différentes dates, il devient difficile pour Hollywood de réaliser des westerns selon les schémas classiques (le gunfighter en héros invulnérable, les pionniers se faisant attaquer par des sauvages, etc.). De tels westerns seront réalisés, mais en Italie, et en délaissant délibérément toute complexité.
Et, plus encore qu’une remise en cause du schéma classique, le western ouvre alors une porte que les Américains ne sont pas encore prêts à regarder en face : le massacre des Indiens, indissociable de la fondation de l’Amérique (Michael Cimino ira encore plus loin avec La Porte du paradis, en évoquant les massacres d’immigrés européens par les gros propriétaires terriens). Quoi qu’il en soit le western a mis le pied dans un engrenage qui lui donne un poids énorme qui le brise en partie. Ce genre, qui a contribué à mettre en image un roman national, a commencé de mettre en lumière une réalité qu’il a longtemps voulu taire : l’Amérique n’est pas propre sur elle, elle a des cadavres immenses et encombrants cachés dans le placard.
On a peut-être là une des explications de l’extinction progressive du genre (même si le genre n’est certes pas tout à fait éteint, le nombre de production s’est considérablement réduit depuis une quarantaine d’années) : exit le beau récit épique ou le héros magnifique, le western confronte désormais le spectateur avec des réalités historiques dérangeantes.
Cette tendance sera renforcée dans les années qui suivront avec plusieurs films qui continueront de dynamiter les récits sur les origines de la nation (Little Big Man, Buffalo Bill et les Indiens, John McCabe, etc.).


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