jeudi 5 mars 2020

P'tit Quinquin (B. Dumont, 2014)




Excellente série de Bruno Dumont, qui, tout autant que quatre épisodes de cinquante minutes qui se suivent, peut aussi se voir comme un long film d'à peu près trois heures trente. L’aspect « série » n’intervient finalement que dans la répétition des meurtres ou dans la répétition de certains motifs, à commencer par la survenue – toujours drôle, décalée et savoureuse – du duo de policiers qui patrouille dans la campagne.
S’éloignant des canons des séries policières, la résolution de l’énigme et la recherche du meurtrier passe rapidement au second plan et ne sera pas résolue (l’enquête reste d’ailleurs à peu près au point mort tout au long du film). De la même façon, les motifs, le rythme, les cadrages ou la richesse de l’image (par exemple la femme morte retrouvée prise dans les filets sur la plage telle une sirène ou encore les lents panoramiques sur les paysages) s’éloignent des habitudes des séries télévisées qui ne sont, le plus souvent, rien d’autre que le simple déroulé d’un scénario.
Et ce sont, bien entendu, les personnages qui intéressent le réalisateur. Il en peint en effet une étonnante galerie, avec bien sûr, en étendard, son improbable duo de flics, qui évoque bien davantage Laurel et Hardy que Starsky et Hutsch, n’en déplaise au commandant qui dégaine sans cesse ou à Carpentier qui ne jure que par ses dérapages en voiture ou sa propension à rouler sur deux roues. Les deux acteurs (Bernard Pruvost et Philippe Jore, non professionnels comme l'ensemble de la distribution, sont exceptionnels). Avec leurs tirades pseudo-existentielles et leur façon, à grands coups de mimiques improbables, de contempler le monde, il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas vu un tel duo comique dans le cinéma français.


Dumont revitalise ainsi génialement le genre comique : loin des facéties lourdes et grossières de la majorité des comédies actuelles, il construit un équilibre avec ce qu’il faut de tragicomique, d’absurde, de burlesque, de grotesque, d’incongru. Pour autant – et c’est bien là la différence majeure avec tant de comédies stupides –, jamais Dumont n’est méchant avec ses personnages : Van der Weyden n’est pas un idiot stupide mais bien plus un clown, auquel Dumont donne une humanité magnifique.
Et, autour de ces flics qui passent d’un cadavre à l’autre, Dumont filme avec tendresse Quinquin, ses amis, ses amours d’enfant et les déambulations de la petite bande à bicyclette, à travers le paysage, croisant sans cesse la route des policiers.

Et, au cœur du film, véritable centre de gravité (rejoignant ainsi le motif central permanent de Dumont) : le paysage, avec ses dunes, ses plages, ses champs boueux, la ligne d’horizon plate qui s’étire à l’infini. Paysage vers lequel le film se tourne constamment, comme pour se remettre de ces meurtres et de ces facéties des policiers, comme pour mettre à distance l’histoire et revenir à la Nature englobante. Il sort ainsi du film une poésie étrange, qui se diffuse au milieu des morts, des labours et des plages. On retrouve alors le même univers que dans L’humanité, mais ici sur un ton radicalement différent.

On regrette l’aparté sur le jeune Mohamed, qui, vexé et poussé à bout par des brimades, tire à tout-va avant de se suicider. Cette irruption d’un discours politique – assez inutile, très caricaturale et en porte-à-faux du reste du film – est sans doute assez regrettable. Dans la suite de la série – Coincoin et les Z’inhumains – l’évocation de la situation migratoire sera abordée de façon plus diffuse et, par là même, de façon plus convaincante.



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