La séquence de la piscine dans Harold et Maude |
Ce que nous entendons
par dissonance, c’est lorsque, à l’écran, l’image et sa signification se
contredisent, ou lorsqu’il y a une contradiction entre ce que nous dit le
scénario et ce que nous dit l’image, ou encore lorsqu’il y a une contradiction
entre tout ce qui sort de l’écran et arrive au spectateur.
En effet, le cinéma joue d’images, de sons, de paroles, de voix. Le cadrage et
l’éclairage créent une atmosphère, les couleurs en créent une autre, la
musique, les paroles ou le rythme du montage en créent d’autres. Le réalisateur
peut harmoniser ces différents éléments (ce qu’il fait le plus souvent) ou, au
contraire les décaler les uns par rapport aux autres et créer une dysharmonie.
Cinématographiquement, l’une des dissonances les plus saisissantes – et les
plus célèbres – est celle de Stroheim lors du mariage de MacTeague dans Les Rapaces : alors que le couple reçoit
la bénédiction du prêtre, un cortège funéraire passe dans la rue. Et la marche
nuptiale se mue en marche funèbre. Stroheim n’hésite pas : en légère
contre-plongée, derrière le prêtre, on voit passer le cercueil et son cortège.
On retrouve une belle
citation de cette séquence dans Harold et Maude de Hal Ashby où c’est un
cercueil sortant de l’église qui croise une fanfare tonitruante. Ashby joue de
multiples dissonances dans son film avec, en particulier, la stupéfiante
séquence de la piscine. S’ouvrant avec le Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski,
l’image est impeccablement géométrique, calme, l'eau bleue équilibre les
couleurs sombres. Sans montage, la caméra dézoome pour que l’on suive la mère
qui se met à l’eau et commence à faire des longueurs, jusqu’à croiser le
cadavre de Harold qui flotte à côté. L’image, alors, est géniale d'humour noir : tout allait bien et, tout à coup, plus rien ne va. En une
image dissonante, Ashby résume le rapport insoluble entre Harold, qui mime le suicidé, et
sa mère, indifférente, qui nage imperturbablement.
De même, dès le générique du Lauréat : The Sound of Silence de
Simon and Garfunkel contraste avec l'image cadrant Dustin Hoffman, morne et impassible,
entraîné par le tapis roulant. C’est toute la signification du film qui est
saisie dans cette séquence.
Notons que certains films regorgent de telles dissonances (par exemple
dans Buffet froid, où Bertrand Blier joue
constamment sur le décalage entre les dialogues et les situations) et certains
réalisateurs en sont friands (Kubrick, par exemple, jouant souvent de la
musique ou du montage, aime ainsi à créer du malaise).
Le spectateur, alors, peut ressentir l'impression d'une image irréelle, hors du temps, celle d'une
image mentale ou encore un malaise. Dans certains cas l’effet est davantage comique.
Mais, dans tous les cas, on tient là une utilisation magnifique du medium
qu’est le cinéma puisqu’il s’agit de jouer avec les éléments mêmes qui le
constituent.
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