jeudi 17 juin 2021

L'Ennemi public (Baby Face Nelson de Don Siegel, 1957)

 

Rapide, sec, énergique, Baby Face Nelson avance sans un temps d’arrêt. De façon originale et surprenante pour Hollywood qui a toujours su construire des personnages charismatiques (avec James Cagney ou Edward G. Robinson à la baguette), Don Siegel met en avant un personnage peu avenant, très bien campé par le bouillant Mickey Rooney, à la tête juvénile. On n’a guère de sympathie pour cette gueule d’ange sans affect qui bondit, tire et tue sans hésiter, emporté par son jusqu’au-boutisme qui le condamne, comme si son destin était tracé d’emblée. Mais le film poursuit toujours sur le même rythme, trépidant, sans coup férir, comme s’il y avait une urgence d’aller au bout et d’en finir.

 

mardi 15 juin 2021

Le Café du Cadran (J. Gehret, 1947)

 

Beaucoup de charme dans cette chronique d’un bistrot parisien de la fin des années quarante : Jean Gehret saisit avec réussite les moments de la vie de tous les jours de ce creuset social. Les habitués, le patron bonhomme (Bernard Blier admirable, comme toujours), la patronne mal à l’aise à qui l'on veut faire la bise, le petit appartement juste au-dessus du café, la tournée générale, l’arrière salle où l’on mange le midi et où l’on se retrouve en catimini, les petites magouilles, les verres refusés par le patron, les fines servies au comptoir. Et le film offre une savoureuse galerie de portraits à travers les habitués : le gros buveur, la fille qui attend désespérément son amoureux, l’ouvrier du matin, le séducteur, etc. Tout cela a un goût d’authentique capté sur le vif, tant et si bien qu’il ne se raconte rien d’autre, véritablement, pendant la plus grande partie du film, que ce regard sur la vie du bistrot.

Le film joue beaucoup avec le café de Paris (situé, dans l’intrigue, de l’autre côté du boulevard) mais il est aussi un miroir au Café de Paris de Mirande, qui brosse un portrait du monde d’en haut quand Le Café du cadran se concentre sur les couches populaires.
On regrette la tragédie des dernières minutes en soi inutile, si ce n’est qu’elle permet de montrer comment le petit couple provincial s’est fait happer par la vie parisienne et comment le bistrot avale et digère les patrons mais reste en place, avec les habitués, toujours là.

 

vendredi 11 juin 2021

Le Jeudi (Il giovedi de D. Risi, 1964)

 

Cette comédie très typique de Dino Risi manque du mélange de gravité et de légèreté qui sied ci bien aux meilleures réussites du genre. Il faut dire que le personnage principal du père manque singulièrement de profondeur et d’intérêt. Walter Chiari campe un bellâtre sûr de lui qui échoue à peu près partout. Le regard que son enfant porte sur lui – et c’est bien sûr cette relation père-fils qui est le cœur battant du film – est alors très vite téléphonée, le fil rouge du film étant la découvert et la compréhension progressive, par le fils, de qui est son père. Mais le spectateur, de son côté, a compris presqu’aussitôt à qui il avait affaire.
Bien sûr Risi brosse un portrait sans concession autour de ce père médiocre (mais tendre) et l’on connaît son regard acéré sur la société italienne, mais on mesure là l’écart avec d’autres films qui abordent le même thème – depuis Le Voleur de bicyclette jusqu’au Disque rouge – où le regard du fils doit intégrer non seulement la personnalité du père, mais surtout la complexité de ce qu’il vit. Rien de tout cela ici : les faux-semblants sont surtout dus à ce père hâbleur qui s’effrite progressivement.

 

mercredi 9 juin 2021

Capitaine de Castille (Captain from Castile de H. King, 1947)



Avec ce que le faste d’Hollywood a de meilleur, Capitaine de Castille déploie toute la splendeur, la flamboyance et l’exotisme dont est capable un grand studio. Capitaine de Castille est un de ces grands films épiques, dus aux moyens surpuissants du studio et c’est une grande réussite de la Fox, un peu comme Les Chevaliers de la table ronde ou Ben Hur le sont pour la MGM.
De l’Espagne au Mexique, des cavalcades de nuit aux miroitements des armures sous un soleil éclatant, on subit l’inquisition, on traverse les océans, on côtoie Cortés (remarquable interprétation de César Romero). Et c’est au milieu de trahisons, de coups du sort, de gestes de bravoure et de sacrifices que Pedro De Vargas construit son destin.
Passant de moment de désespoir très violent (la mort de la jeune sœur sous la torture) à l’aventure pure et dure (la conquête du Nouveau monde, Cortés qui brûle ses vaisseaux), le film est découpé en deux grandes parties : la partie espagnole est souvent très sombre, à la fois dans le récit et formellement, quand le Mexique apparaît éclatant.
De façon tout à fait originale, la trajectoire de Pedro De Vargas n’est pas circulaire comme on pouvait l’attendre (il n’obtiendra pas réparation dans son pays et ne se vengera pas) mais, de façon habile (et qui revêt une forme de réalité historique pour certains proscrits), sa fuite devient une conquête.
Tyrone Power incarne parfaitement le noble déchu mais qui va de l’avant et ne se départi jamais de sa droiture et de son honneur. Le je-ne-sais-quoi d’aristocratique de son port insuffle ce qu’il faut d’orgueil (et même d’orgueil blessé par moment) à ce fils de famille qui devient capitaine sur l’autre continent.

Et l’on voit une nouvelle fois, que, dans les films historiques, c’est lorsque la petite histoire rejoint la grande que la sauce prend (ici celle de Pedro De Varga qui suit la conquête de Cortés), beaucoup plus que l’inverse (lorsque la grande Histoire cherche à être illustrée à travers de petites histoires). On s’attache au héros, à son destin et, comme un ruisseau qui rejoint un fleuve et dont les courants se mélangent, les destins progressent ensemble. On adore voir Pedro De Vargas en bras droit de Cortés : Hollywood joue avec l’Histoire et cela lui réussit bien.

 

 

lundi 7 juin 2021

Barbe-Bleue (Bluebeard de E. Ulmer, 1944)

 


Edgar Ulmer, roi des séries B et parfait contrebandier, distille une étonnante atmosphère pour parvenir à cerner parfaitement son personnage de Barbe-Bleue : pour cela il réduit l’univers entier à celui qui entoure au plus près son personnage, l’enfermant dans son obsession incontrôlable. C’est un peu comme si rien n’existait en dehors de ses pulsions, maitrisées tant bien que mal et qui reviennent par bouffées. Le film, avec son Noir & Blanc, ses tons brumeux inquiétants, ses intérieurs de bois, ses marionnettes, son raffinement, créé cet univers si particulier qui semble une expression du cerveau malade de Gaston Morel. John Carradine, avec son allure, l’intonation étrange de sa voix et son regard, incarne parfaitement ce personnage calme et raffiné obsédé par les méandres de son passé.
Avec son rapport à la peinture, le film joue d’ailleurs sur une inversion du Portrait de Dorian Gray : la peinture rappelle son passé à Gaston, faisant ressortir la désillusion dont il ne parvient pas à se défaire et qui l’obsède. Le voilà manipulé par sa pulsion, tout comme il manipule lui-même ses marionnettes.
Ce resserrement non seulement de l’intrigue mais de tout l’univers et de toute l’esthétique du film aux pulsions du personnage est remarquable.