jeudi 6 juillet 2017

La représentation de l'histoire de l'Amérique au cinéma



Depuis son origine, le cinéma s’inspire de l’Histoire, dont il reprend des thèmes ou dont il s’inspire pour ses scénarios. Le cinéma s’est même appuyé sur l’Histoire pour se construire une légitimité (L’Assassinat du Duc de Guise de A. Calmettes) et des genres sont entièrement basés sur une inspiration historique (les films de costumes, les péplums, les films de guerre ou de pirates, etc.). Le cinéma, ensuite, procède de deux façons :
        - Il s’appuie sur des personnages historiques, qui sont plus ou moins connus (Louis II de Bavière dans Ludwig de Visconti, Percy Fawcett dans The Lost City of Z de J. Gray, mais aussi Spartacus ou Cléopâtre, etc.) qui peuvent être érigés en héros (le général Custer dans La Charge fantastique, Schindler dans La Liste de Schindler), devenir des symboles forts (Spartacus) ou être l’occasion de métaphores (Aguirre personnifiant la folie dans Aguirre, la colère de Dieu).
        - Il s’appuie sur un événement qui est alors le prétexte à des séquences spectaculaires (Ben Hur, de nombreux films de guerre), ou qui est l'occasion d'un hommage (L'Armée des ombres, Le Pianiste) ou encore d'une dénonciation (Les Sentiers de la gloire).


Dans le cinéma américain, la représentation de l’Histoire occupe une place primordiale : pour construire une nation (et les États-Unis sont une nation jeune), il faut un « roman de la nation ». Au-delà de l’enseignement scolaire de l’Histoire, c’est au travers d’images que ce roman se construit. Ce mécanisme joue à plein aux USA, où le cinéma règne.
Dans sa représentation de l’Histoire, le cinéma américain est ainsi passé par plusieurs étapes successives. Après une première période où le cinéma a exalté l’Amérique protestante (en l’opposant notamment au catholicisme) ce qui a donné une première image de ce pays (celle d’un pays né du labeur, de la foi, de la communauté rassemblée pour construire ensemble les villes et les églises), le cinéma a concentré son regard historique sur la guerre de Sécession et la conquête de l’Ouest, deux épisodes qui ont totalement pris le pas sur la guerre d’indépendance, qui est pourtant, historiquement, l’évènement fondateur de la nation. Alors qu’historiquement ce sont les colons et la guerre d'indépendance qui fondent d'abord l'Amérique, cinématographiquement c'est la conquête de l'Ouest. Il faut dire que la guerre d'indépendance a été supplantée par la guerre de Sécession, sommet de violence et d'horreurs.
Le cinéma, durant cette période, n’attaque jamais l’Amérique, que ce soit en tant que Nation, en tant que société ou en tant qu’ensemble de communautés diverses. C’est l’idéologie du melting-pot, illustrée par exemple par John Ford (Judge Priest, Sur la piste des Mohawks). Les Noirs, par exemple, sont rejetés dans certains rôles (les domestiques) ou certains genres (les musicals), mais le cinéma ne s’exprime pas négativement contre l’Amérique : il propose une vision conformiste de l’Histoire.
Même les films sur la crise de 29 reportent leurs attaques sur l’Amérique ou son système social, soit qu'ils recourent au comique (chez Chaplin notamment), soit, malgré tout, par la glorification finale du système américain (chez Capra par exemple).
C’est aussi l’époque de la construction de mythes. Le cinéma se saisit d'une histoire, d'anecdotes, de situations, et en fait des modèles ou des figures normatives. John Ford exalte ainsi la famille (Qu’elle était verte ma vallée) ou l’armée (Le Massacre de Fort Apache) et hisse les événements au rang d'épopées et les personnages au rang d'icônes (La Poursuite infernale). Il construit ainsi une légende que le média cinéma fait entrer dans les esprits. La version cinématographique de la conquête de l'Ouest devient une version historique pour la population (illustrant aussi la destinée manifeste du XIXème siècle). Les fresques d'église sont des versions illustrées des scènes de la Bible pour qui ne sait pas lire, les images cinématographiques deviennent une version de l'Histoire pour qui n'est pas historien, elles constituent le roman de la nation.

C’est ainsi que, cinématographiquement, la conquête de l'Ouest exprime :
- la traversée d'un territoire vierge (La Piste des géants de R. Walsh) ;
- la traversée d'un territoire hostile (La Chevauchée fantastique de J. Ford) ;
- l'installation dans un territoire hostile (Sur la piste des Mohawks de J. Ford, Le Passage du canyon de J. Tourneur) ;
- la constitution de communautés (Je suis un aventurier d’A. Mann) ;
- la loi des hommes qui remplace progressivement la loi du plus fort et la justice expéditive (L'Étrange Incident de W. Wellman, L’Homme qui tua Liberty Valance de J. Ford) ;
- la réaction de la communauté face à la violence (Le Train sifflera 3 fois de F. Zinnemann,  3 h 10 pour Yuma de D. Daves) ;
- les guerres indiennes ou la guerre de Sécession (Les Cavaliers de J. Ford) ;
- des personnages iconiques nombreux (le shérif, le hors-la-loi, la prostituée, le nettoyeur de ville, l'aventurier solitaire, le juge, le fermier, etc.).

On remarquera que le cinéma est complètement conscient de lui-même : une idée force de L’Homme qui tua Liberty Valance est bien que la légende est plus importante que la vérité historique et que la Nation a besoin de cette part de légende. Il faut noter combien le massacre des Indiens reste éludé (c’est à partir des années 50 seulement que les Indiens deviennent autre chose que des sauvages bons à être abattus, avec La Porte du diable ou La Flèche brisée).
Après la seconde guerre, il existe même une idéologie officielle et obligatoire à Hollywood, en plein Maccarthysme, d’où un report vers des genres a priori apolitiques (comédies musicales, westerns (mais qui sont parfois l’occasion d’une dénonciation de ce Maccarthysme comme dans Quatre étranges cavaliers d’A. Dwan)).

Ce n’est qu’à partir de la fin des années 60, avec l’explosion de la contre-culture, exprimée dans le cinéma par l’émergence du Nouvel Hollywood, que le cinéma américain attaque l’establishment WASP et remet en cause l’Amérique. Des films communautaires apparaissent (même s’ils ont une diffusion faible) et certains réalisateurs n’hésitent plus et lancent des attaques, aussi bien contre la « vision de l’Histoire » (La Porte du Diable), que contre la famille (La Fièvre dans le sang, Tout ce que le ciel permet), la révolte des jeunes (L'Équipée sauvage, La Fureur de vivre, Graine de violence), les médias (Le Gouffre aux chimères), etc. Et c’est dans le cinéma, plus puissamment encore que dans la Littérature, que l’Amérique s’interroge sur elle-même, sur sa société (relayant les Mouvements des droits civiques) ou, par exemple, sur sa place dans le monde (à l’occasion de la guerre du Vietnam).

Le cinéma change alors de mythe : il ne s'intéresse plus aux premiers temps de la Nation américaine mais il remet en cause le rêve américain et discute de la qualité de vie à l'américaine. C’est ainsi que le western, genre inféodé à un autre mythe, est relégué au second plan et disparaît peu à peu. De même pour la comédie musicale, qui ne discutait pas de l'American Way of Life mais qui était clairement une usine à rêves. Embellir le présent et vendre du rêve ne fait plus guère recette à partir de la contre-culture.
Quelques films, emblématiques, marquent ainsi le passage d’un regard historique au suivant et marquent ce changement de mythe. On pense à Easy Rider, qui fait ainsi le pont entre le western (c'en est un par bien des aspects) et le drame social : il critique violemment la société (l'intolérance des Red Necks) et se veut un hymne à la liberté. Ou encore Vanishing Point qui est lui aussi une transition d'un univers à l'autre, qui épouse les revendications des Noirs et critique l’Amérique blanche et policière.

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