Depuis son origine, le cinéma
s’inspire de l’Histoire, dont il reprend des thèmes ou dont il s’inspire pour
ses scénarios. Le cinéma s’est même appuyé sur l’Histoire pour se construire
une légitimité (L’Assassinat du Duc de Guise de A. Calmettes) et des genres sont entièrement basés sur une
inspiration historique (les films de costumes, les péplums, les films de guerre
ou de pirates, etc.). Le cinéma, ensuite, procède de deux façons :
-
Il s’appuie sur des personnages historiques, qui sont plus ou moins connus (Louis
II de Bavière dans Ludwig de
Visconti, Percy Fawcett dans The Lost City of Z de J. Gray, mais aussi Spartacus ou Cléopâtre, etc.) qui peuvent
être érigés en héros (le général Custer dans La Charge fantastique, Schindler dans La Liste de Schindler),
devenir des symboles forts (Spartacus) ou être l’occasion de métaphores (Aguirre personnifiant la
folie dans Aguirre, la colère de Dieu).
- Il s’appuie sur un événement qui
est alors le prétexte à des séquences spectaculaires (Ben Hur, de nombreux films de guerre), ou qui est
l'occasion d'un hommage (L'Armée des
ombres, Le
Pianiste) ou encore d'une dénonciation (Les Sentiers de la gloire).
Dans
le cinéma américain, la représentation de l’Histoire occupe une place
primordiale : pour construire une nation (et les États-Unis sont une
nation jeune), il faut un « roman de la nation ». Au-delà de
l’enseignement scolaire de l’Histoire, c’est au travers d’images que ce roman
se construit. Ce mécanisme joue à plein aux USA, où le cinéma règne.
Dans sa représentation de l’Histoire,
le cinéma américain est ainsi passé par plusieurs étapes successives. Après une
première période où le cinéma a exalté l’Amérique protestante (en l’opposant
notamment au catholicisme) ce qui a donné une première image de ce pays (celle
d’un pays né du labeur, de la foi, de la communauté rassemblée pour construire
ensemble les villes et les églises), le cinéma a concentré son regard
historique sur la guerre de Sécession et la conquête de l’Ouest, deux épisodes
qui ont totalement pris le pas sur la guerre d’indépendance, qui est pourtant,
historiquement, l’évènement fondateur de la nation. Alors qu’historiquement ce
sont les colons et la guerre d'indépendance qui fondent d'abord l'Amérique,
cinématographiquement c'est la conquête de l'Ouest. Il faut dire que la guerre
d'indépendance a été supplantée par la guerre de Sécession, sommet de violence et
d'horreurs.
Le
cinéma, durant cette période, n’attaque jamais l’Amérique, que ce soit en tant
que Nation, en tant que société ou en tant qu’ensemble de communautés diverses.
C’est l’idéologie du melting-pot, illustrée par exemple par John Ford (Judge Priest, Sur la piste des Mohawks). Les Noirs, par exemple, sont rejetés
dans certains rôles (les domestiques) ou certains genres (les musicals), mais
le cinéma ne s’exprime pas négativement contre l’Amérique : il propose une
vision conformiste de l’Histoire.
Même
les films sur la crise de 29 reportent leurs attaques sur l’Amérique ou son
système social, soit qu'ils recourent au comique (chez Chaplin notamment), soit, malgré tout, par la glorification finale du système américain (chez Capra par exemple).
C’est
aussi l’époque de la construction de mythes. Le cinéma se saisit d'une
histoire, d'anecdotes, de situations, et en fait des modèles ou des figures
normatives. John Ford exalte ainsi la famille (Qu’elle était verte ma vallée) ou l’armée (Le Massacre de Fort Apache) et hisse les événements au rang
d'épopées et les personnages au rang d'icônes (La Poursuite infernale). Il construit ainsi une légende que le
média cinéma fait entrer dans les esprits. La version cinématographique de la
conquête de l'Ouest devient une version historique pour la population
(illustrant aussi la destinée manifeste du XIXème siècle). Les fresques
d'église sont des versions illustrées des scènes de la Bible pour qui ne sait
pas lire, les images cinématographiques deviennent une version de l'Histoire
pour qui n'est pas historien, elles constituent le roman de la nation.
C’est
ainsi que, cinématographiquement, la conquête de l'Ouest exprime :
-
la traversée d'un territoire vierge (La
Piste des géants de R. Walsh) ;
-
la traversée d'un territoire hostile (La Chevauchée fantastique de J. Ford) ;
-
l'installation dans un territoire hostile (Sur
la piste des Mohawks de J. Ford, Le Passage du canyon de J. Tourneur) ;
-
la constitution de communautés (Je suis un aventurier d’A. Mann) ;
-
la loi des hommes qui remplace progressivement la loi du plus fort et la
justice expéditive (L'Étrange Incident de
W. Wellman, L’Homme qui tua Liberty Valance de J. Ford) ;
-
la réaction de la communauté face à la violence (Le Train sifflera 3 fois de F. Zinnemann, 3 h 10 pour Yuma de D. Daves) ;
-
les guerres indiennes ou la guerre de Sécession (Les Cavaliers de J. Ford) ;
-
des personnages iconiques nombreux (le shérif, le hors-la-loi, la prostituée,
le nettoyeur de ville, l'aventurier solitaire, le juge, le fermier, etc.).
On
remarquera que le cinéma est complètement conscient de lui-même : une idée
force de L’Homme qui tua Liberty Valance
est bien que la légende est plus importante que la vérité historique et que la
Nation a besoin de cette part de légende. Il faut noter combien le massacre des
Indiens reste éludé (c’est à partir des années 50 seulement que les Indiens
deviennent autre chose que des sauvages bons à être abattus, avec La Porte du diable ou La Flèche brisée).
Après
la seconde guerre, il existe même une idéologie officielle et obligatoire à
Hollywood, en plein Maccarthysme, d’où un report vers des genres a priori apolitiques (comédies
musicales, westerns (mais qui sont parfois l’occasion d’une dénonciation de ce
Maccarthysme comme dans Quatre étranges cavaliers d’A. Dwan)).
Ce
n’est qu’à partir de la fin des années 60, avec l’explosion de la contre-culture,
exprimée dans le cinéma par l’émergence du Nouvel Hollywood, que le cinéma
américain attaque l’establishment WASP et remet en cause l’Amérique. Des films
communautaires apparaissent (même s’ils ont une diffusion faible) et certains
réalisateurs n’hésitent plus et lancent des attaques, aussi bien contre la
« vision de l’Histoire » (La
Porte du Diable), que contre la famille (La Fièvre dans le sang, Tout ce que le ciel permet), la révolte des jeunes (L'Équipée sauvage, La Fureur de vivre, Graine de violence), les
médias (Le Gouffre aux chimères), etc. Et c’est dans le cinéma, plus puissamment encore que dans la
Littérature, que l’Amérique s’interroge sur elle-même, sur sa société (relayant
les Mouvements des droits civiques) ou, par exemple, sur sa place dans le monde
(à l’occasion de la guerre du Vietnam).
Le cinéma change alors de mythe :
il ne s'intéresse plus aux premiers temps de la Nation américaine mais il remet
en cause le rêve américain et discute de la qualité de vie à l'américaine.
C’est ainsi que le western, genre inféodé à un autre mythe, est relégué au
second plan et disparaît peu à peu. De même pour la comédie musicale, qui ne
discutait pas de l'American Way of Life mais
qui était clairement une usine à rêves. Embellir le présent et vendre du rêve
ne fait plus guère recette à partir de la contre-culture.
Quelques
films, emblématiques, marquent ainsi le passage d’un regard historique au suivant et marquent ce changement de mythe. On pense à Easy Rider, qui fait ainsi le pont entre le western (c'en est un
par bien des aspects) et le drame social : il critique violemment la société
(l'intolérance des Red Necks) et se veut un hymne à la liberté. Ou encore Vanishing Point qui est lui aussi une
transition d'un univers à l'autre, qui épouse les revendications des Noirs et
critique l’Amérique blanche et policière.
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