mercredi 16 novembre 2022

Yol, la permission (Yol de Y. Güney, 1982)

 



Magnifique film de Yilmaz Güney qui, au travers de trajectoires croisées, dresse un portrait très sévère de la Turquie, coincée entre des traditions ancestrales (rapport aux femmes, vendetta, etc.) et une police et une armée violentes et inquisitoriales. Güney, incroyablement, dirige le film depuis la cellule où il purge une longue peine de prison, ne sortant que ponctuellement pour affiner le tournage (qui est effectué sur le terrain sous la direction de Serif Gören). On comprend alors la puissance qu’il parvient à mettre dans ses personnages et dans les situations – parfois très dures – qui constituent Yol.
De façon très habile, Güney montre à quel point les différents personnages sont coincés, prisonniers de forces qui les dépassent et les obligent. Sauver l’honneur, respecter des traditions, supporter le regard féroce et impitoyable de la société : dans tous les cas il n’y a pas de place pour un destin individuel.
Pour ces détenus de droit commun, la permission d’une semaine, finalement, les déplace d’une prison vers une autre.
Plusieurs séquences sont à la fois très belles et très dures, en particulier lorsque Seyit Ali, pourtant perclus d’amour pour sa femme, s’en remet à l’ordalie traditionnelle et que celle-ci doit traverser le col enneigé seule.

C’est là la grande réussite du film : il ne se contente pas de dresser un portrait terriblement incisif sur la société turque mais il happe par la véracité et la puissance de ses personnages et de ses situations.




lundi 14 novembre 2022

À couteaux tirés (Knives Out de R. Johnson, 2019)




Prototype de film à scénario – scénario alambiqué et très proche de ceux d’Agatha Christie pour le coup –, À couteaux tirés s’en remet à son intrigue pour captiver le spectateur. En cela il ne déçoit pas et il joue d’ailleurs habilement d’une fausse révélation du nœud de l’affaire en milieu de film pour rebondir parfaitement.

Mais le problème est que non seulement la réalisation est un peu molle et convenue (on retrouve des effets habituels dans ce genre de production, avec par exemple l’image qui illustre les propos du détective qui explique les dessous de l’affaire), mais les personnages sont ou bien insipides ou bien tout à fait caricaturaux. Le film a du mal, alors, à ne pas paraitre superficiel. Il est bien dommage que Rian Johnson n’ait pas cherché à développer quelques personnages qui auraient donné une épaisseur supplémentaire au film, au lieu de se reposer sur ses lauriers et de ne produire, finalement, qu’un banal suspense policier. Les acteurs, alors, font ce qu’ils peuvent et, à l’image de beaucoup d’autres, Daniel Craig ou Chris Evans surjouent de façon un peu pénible.

Le film, dès lors, reste un Cluedo un peu simple, bien loin de Gosford Park, pour prendre l’exemple d’un film policier qui déborde largement la simple illustration d’un scénario.



samedi 12 novembre 2022

L'Exorciste 2 : L'Hérétique (Exorcist II: The Heretic de J. Boorman, 1977)

 



Il eût été inconcevable pour la machinerie hollywoodienne de constater l’énorme succès de L’Exorciste sans chercher à en tirer encore quelques profits. Voilà qui est fait avec ce deuxième opus, par moment assez curieux malgré de gros défauts qui le rendent bien frustrant.
C’est que si John Boorman, comme bien souvent, cherche à insuffler un souffle et un arrière-plan supplémentaire à ses histoires (ici il est question de sorcellerie africaine), il en vient à se désintéresser de certains aspects de l’histoire ou de certains personnages, ce qui gâche l’ensemble du film.  Ici le personnage du docteur Tuskin (Louise Fletcher) est bâclée et le joujou télépathique est ridicule et kitsch (pourquoi n’avoir pas simplement parlé d’hypnose ?).

C’est bien dommage tant on sent qu’il y avait moyen de proposer un film pas trop hollywoodien et doté d’une forte personnalité. Mais l’ensemble, finalement, est bien décevant.

 




jeudi 10 novembre 2022

La Bataille de Midway (Midway de J. Smight, 1976)

 



Grosse production ambitieuse, spectaculaire et à la facture très classique, La Bataille de Midway entreprend de raconter, de façon directe et simple mais assez efficace, la décisive bataille qui eut lieu dans le Pacifique Nord.
On se réjouit de la distribution, même si le personnage purement fictif campé par Charlton Heston apporte peu. Mais il est sacrifié à la fin, symbolisant par là le sacrifice qu’imposa la bataille.
Hollywood est même allé chercher la star Toshiro Mifune pour jouer – tout en retenue, ce qui montre que Mifune en est capable ! – un Yamamoto que le film cherche à sauver. C’est qu’il faut bien remarquer que, une fois n’est pas coutume, les japonais ne sont pas ridiculisés mais ils apparaissent comme des adversaires valeureux : certes leur stratégie échoue mais rien n’est acquis et la bataille est incertaine. Bien sûr quelques officiers japonais jouent le rôle de va-t-en-guerre orgueilleux qui se réjouissent trop tôt, mais Yamamoto est montré comme un sage qui doute et, même, les pilotes japonais ne sont pas montrés comme des diables hurlants. Le film intègre beaucoup d’images d’archives – en particulier des combats aériens – qui cherchent à apporter une touche de réalisme au film.
On remarquera que si le récent Midway de R. Emmerich manque terriblement de charme avec sa réalisation impersonnelle et sans saveur – on préfère nettement le film de Jack Smight –, en revanche il utilise parfaitement les effets spéciaux modernes qui rendent les combats beaucoup plus spectaculaires. Smight doit lui se contenter de jeux de montages, de cuts, d’inserts d’images d’archives, d’explosions vues sous plusieurs angles. Mais il a beau faire ce qu’il peut, en ce qui concerne le rendu de la bataille aéronavale, le film d’Emmerich reste beaucoup plus spectaculaire.




mardi 8 novembre 2022

L'Héritage de la chair (Pinky de E. Kazan, 1949)





Après l’antisémitisme de son intéressant Mur invisible (intéressant mais assez convenu cinématographiquement), Elia Kazan aborde ici de façon très frontale la ségrégation raciale.
Le film ne manque pas de courage en abordant un thème difficile, celui du passing, où une Noire cherche à se faire passer pour une Blanche pour éviter la ségrégation et forcer son destin. C’est mettre le doigt sur le métissage, peur fondamentale des Blancs du Sud pendant la ségrégation. C’est un passing réussi semble-t-il : Pinky est diplômée et, surtout, elle est intégrée dans le monde des Blancs dont elle a l’éducation. Le retour dans la maison natale n’en sera que plus violent.

Le film cède aux canons de la représentation du Sud, à travers une iconographie assez typique, avec ses maisons défraichies et abandonnées (ce qui annonce Mandingo) ou les ruelles proches des marais. Et la grand-mère blanchisseuse doit beaucoup à la Mamma de Autant en emporte le vent. L’heure n’est pas encore venue de rompre avec les représentations hollywoodiennes.


Mais le film montre bien le racisme ordinaire qui pousse Pinky, tout au long du film, à renier sa « race » pour se tourner vers une vie meilleure. Et c’est la grand-mère de Pinky qui la relie à son ascendance et l’empêche de fuir. Et ce sera, en fin de film, une prise de conscience venant de Miss Em qui, paradoxalement – elle est blanche et acariâtre – la décidera finalement à rester et à se battre.
On notera que si Thomas – le fiancé blanc – est prêt à emmener Pinky même après qu’il apprend qu’elle est en réalité Noire, c’est à la condition que la société ignore la réalité : le regard des autres semble plus fort que l’amour… Mais Pinky décide d’être en accord avec elle-même et de ne pas vivre cachée.

On regrette une fin certes optimiste mais du coup trop hollywoodienne. Mais, alors que les lois mettant fin à la ségrégation mettront encore bien des années à arriver, cette fin a une allure de manifeste empli d’espoir.

Et, avant L’Esclave libre ou Le Mirage de la vie, Hollywood commence à regarder la ségrégation et le racisme les yeux dans les yeux. Le moment Mandingo, lentement, approche.

 

vendredi 4 novembre 2022

Rue de l'Estrapade (J. Becker, 1953)

 



Si Rue de l’Estrapade est un film décevant, il permet en revanche de s’interroger sur la curieuse alchimie qui préside à la réussite ou non d’un film.
En effet, avec une équipe technique similaire, avec une distribution proche (Daniel Gélin, Anne Vernon), avec des histoires qui procèdent de la même humeur – celle de la chronique de mœurs qui cherche à saisir un moment de vie à la fois touchant mais sans être dramatique – Jacques Becker parvient à trouver l’équilibre
(avec Édouard et Caroline et, plus encore, dans Rendez-vous de juillet) et il est alors fluide, sans accroc, élégant et juste. Mais il peut aussi, au contraire – et c’est le cas, malheureusement, dans Rue de l’Estrapade – tomber à plat et s’essouffler, rester sans élan, sans que l’on croit aux personnages ou aux situations.
La faute peut-être à Louis Jourdain qui cabotine beaucoup trop. Ou à Daniel Gélin, lui d’ordinaire si juste, qui n’est pas à sa place. Mais son personnage est encombrant : la cour qu’il fait à Françoise n’est pas crédible et tourne à vide. Il y a donc les acteurs mais aussi les ressorts du scénario qui rendent un peu bancal ce film.

Rue de l’Estrapade, alors, permet de mieux se rendre compte, si besoin était, de l’extraordinaire réussite d’Édouard et Caroline et de Rendez-vous de juillet dont le rythme, l’équilibre et les personnages réjouissent continuellement.


mercredi 2 novembre 2022

Cash (Besnard E, 2008)

 



Dans une ambiance qui se veut décontractée et qui multiplie chausse-trappes et faux-semblants, Eric Besnard réalise une variation d’Ocean’s Eleven à la française. S’appuyant sur un gros casting, jouant de multiples rebondissements, très américain dans sa forme, on est dans le déroulement d’une grosse arnaque, qui, en fait, est une arnaque dans une arnaque dans une arnaque (pour faire simple).
Si tout cela se veut très sympathique, c’est assez lassant et la fin tombe un peu à plat. Finalement on préfèrera nettement retourner chez Soderbergh pour retrouver la bande à Clooney.