lundi 16 janvier 2023

Le Petit fugitif (Little Fugitive de R. Abrashkin, 1953)

 



Cet important film de Raymond Abrashkin raconte une histoire très simple sans chercher à lui imprimer une tension, un rythme ou un artifice particulier. S’il peut sembler aujourd’hui un film mineur, Le Petit fugitif, au-delà de ce qu’il raconte, revêt, au regard de l’histoire du cinéma, une grande importance. Il est en effet comme un trait d’union américain entre deux grandes étapes fondamentales du cinéma européen : il vient en effet s’intercaler entre le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague française.

Abrashkin reprend en effet la grande idée de Rosselini ou De Sica en descendant avec sa caméra dans la rue pour filmer l’errance d’un enfant, parmi les passants, cachant sa caméra et saisissant des moments de vie sur le vif. Loin des studios, sans acteurs professionnels, le film se construit in situ et capte comme elle vient toute l’agitation du parc d’attractions de Coney Island. S’attachant à suivre les pas d’un enfant, le film évoque Allemagne année zéro, la tragédie en moins.

Mais l’histoire de ce petit garçon qui s’échappe et passe un week-end parmi les attractions, annonce, évidemment, Les Quatre cents coups, un peu comme si Le Petit fugitif montrait les frasques d’Antoine Doinel quand il avait sept ans. Et, de son tcôté, Jean-Luc Godard sera captivé par l’utilisation de la caméra à l’épaule, très novatrice, qui permet la discrétion et donc la saisie sur le vif.



jeudi 12 janvier 2023

Les Banshees d'Inisherin (The Banshees of Inisherin de M. McDonagh, 2022)

 



Martin McDonagh n’a réalisé que peu de films mais ils sont assez variés – aussi bien dans leur qualité que dans leur genre – et le réalisateur a tendance à se bonifier puisqu’après avoir successivement réalisé un premier film bien terne (Bons baisers de Bruges) et un deuxième largement oubliable (Sept psychopathes), Les Panneaux de la vengeance était réussi. Avec Les Banshees d’Inisherin, si l’originalité apparente du sujet, sa belle interprétation et son cadre magnifique masquent un discours très convenu, il faut néanmoins reconnaître que McDonagh procède d’une manière insolite pour parler de la guerre. C’est que, derrière la discorde entre deux amis, le réalisateur a autre chose en tête.

Le film s’ouvre sur une brouille entre deux amis, brouille traitée sur un mode semi-comique du fait de la personnalité de Pádraic parfaitement campé par Colin Farrell. Cette première partie est très réussie, le spectateur plongeant sur fond de folklore irlandais dans un univers loin de tout, sur cette petite île à la beauté sauvage, aux chemins rocailleux et aux murets de pierres. Mais on ignore s’il s’agit d’une accroche ou bien si l’on tient là le cœur du film. Le doute est levé lorsque Colm s’inflige des automutilations, ce qui donne au propos une tension à la fois dramatique et très violente. C’est que le film cherche avec une certaine réussite à mélanger les tons, avec des plans ou des remarques comiques au milieu d’une humeur générale lourde et réaliste, même si le film tombe par moment dans le Grand-Guignol (Colm qui vient jeter ses doigts coupés sur la porte de Pádraic).
L’interprétation est un beau point fort avec Colin Farrell qui tient très bien un rôle difficile : son personnage un peu simplet se modifie peu à peu pour basculer en fin de film dans une haine définitive épaissie d'une complexité psychologique qu'il n'avait pas. L’acteur parvient à ne pas trop en faire et le film repose beaucoup sur sa performance. 
Cela dit, si McDonagh capte très bien la beauté sauvage de l’Irlande, il n’en montre pas sa rigueur et sa dureté, dureté qui aurait servi son propos. Le paysage évoque d’ailleurs La Fille de Ryan, où la nature servait un film romantique, loin du ton des Banshees d’Inisherin. Ici on ne voit guère qu’une Irlande verte et ensoleillée et non pas une terre âpre, austère, froide, humide ou venteuse, Irlande qui rendrait les hommes durs, les fermerait et scellerait leurs visages. 

Dans cette île d’Inisherin qui est une petite Irlande, la métaphore de la guerre civile – métaphore qui reste discrète tout au long du film – est clairement assumée dans la dernière séquence du film. On y voit les deux amis irréconciliables qui parlent de la guerre au loin mais on comprend qu’il parle d’eux et de la haine qui, désormais, les sépare. Et quand ils s’en retournent chacun de leur côté, ils sont séparés, dans le plan, par la vieille femme qui symbolise la mort. Le dialogue est ici très habile (ils commentent la guerre au loin – disant qu’elle ne se terminera jamais – mais, en fait, ils parlent de leur guerre entre eux deux) alors que le film, tout du long, a fait exactement le contraire : en parlant de ces deux amis dont la fâcherie vire à la haine, c’est de la guerre civile dont il est question. Et cette métaphore est très bien tenue : la guerre civile, nous dit le film, naît entre frères, sans raison véritable, elle est excessive, délirante et sanglante.
L’automutilation est une image parfaite d’un peuple qui s’entretue et la haine, en fin de film, a pris place à l’amitié : il n’y a plus de réconciliation possible, tout ce qui pouvait unir a été balayé. Ce qui se joue dans cette petite île au large de l’Irlande reflète parfaitement ce qui se joue là-bas, sur la grande île, et dont on n’entrevoit que quelques échos et quelques explosions au loin.

Cela dit – et c’est là que le bât blesse et que le film déçoit –, même si la métaphore est très bien menée, si le film est, en définitive, une fable sur la guerre et qu'il montre très bien le passage de la gentillesse à la haine chez 
Pádraic (soit le passage de la paix à la guerre sans concession), on est un peu navré que le réalisateur ne dise rien d’autre sur la guerre que des banalités : la guerre n'a aucun sens, nous dit-il, elle est inutile et horrible. Difficile, en définitive, de faire plus convenu.




mercredi 11 janvier 2023

La Guerre du feu (J.- J. Annaud, 1981)

 




Ce célèbre film de Jean-Jacques Annaud, s’il est une réussite narrative et technique incontestable, laisse aussi sur sa faim. On sent que les contraintes imposées par le sujet autant que par le réalisateur (notamment l’absence de dialogues et la volonté de réalisme) brident la narration.
Les sujets concernant la sociabilité, la dépendance de l’homme à la technique ou la survie quotidienne sont, quasiment par essence dès lors que l’on traite de l’époque préhistorique, immédiatement au cœur du film. Et la reconstitution de l’époque préhistorique est très crédible à l’écran, sans doute parce qu’elle colle avec les images qui existent déjà dans le cerveau du spectateur : des feux aux abords de cavernes, des hommes rustres en peaux de bêtes, des savanes et des marécages brumeux, des tigres à dents de sabre et des mammouths, des violences entre groupes (ou, ici, entre hominidés), le danger extrême rodant partout, des grognements simiesques en guise de paroles, etc.

On notera néanmoins les incongruités scientifiques, assez nombreuses malgré les soins du réalisateur. Dans un tel film, on les guette un peu à regret, non pas pour traquer des erreurs mais parce qu’elles touchent à la substance du film. La principale erreur frappe d’ailleurs le scénario de plein fouet : à l’époque du film les hommes savaient déjà faire du feu. Et, dans une moindre mesure (mais pour donner un exemple d’erreur curieuse), ne voir aucun outil lithique interpelle.

 



lundi 9 janvier 2023

Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing de K. Branagh, 1993)

 



Adaptation appliquée et élégante de la pièce de Shakespeare, le film de Kenneth Branagh a le bon goût de laisser le maximum de place au texte.

C’est qu’il y a toujours une hésitation dans l’adaptation d’une pièce de théâtre au cinéma, qui est l’hésitation entre deux médias qui, s’ils ont beaucoup de gènes en communs, ne procèdent néanmoins pas de la même façon. Et, si le cinéma, par essence, peut faire éclater la scène de théâtre et s’en échapper, il y a le risque, toujours, de perdre la pureté du texte en s’en écartant trop.

Il y a alors une tension entre deux pôles opposés :

- L’adaptation peut être la plus discrète possible. Le cinéma ne devient alors qu’un medium au service d’un autre et les spécificités proprement cinématographiques sont évitées, au service de la pièce ou de son texte.

- Ou alors le cinéma – en tant que medium – se saisit du texte et de l’histoire pour les faire siens. Il transforme la pièce en un film, opérant une métamorphose au sens biologique du texte : de la même façon que lorsqu’une chenille se métamorphose en papillon des organes disparaissent et d’autres apparaissent, le film issu de la pièce fera disparaître certains éléments (souvent, a minima, une certaine unité et une certaine concision propres au théâtre), et en créera d’autres.


Ici Kenneth Branagh trouve un entre-deux équilibré ou il laisse la part belle au texte (avec de très bons interprètes) et son principal apport est de distiller une atmosphère qui sied très bien à la pièce d’origine.




samedi 7 janvier 2023

The Laundromat : L'Affaire des Panama Papers (The Laundromat de S. Soderbergh, 2019)

 



L’Affaire des Panama Papers entre dans ce genre un peu nouveau et qui se développe aujourd’hui – notamment sur les plateformes de vidéos à la demande – des films très ancrés dans l’actualité et qui la décrivent ou la dénoncent, tout en se voulant pédagogiques et explicatifs. Tantôt c’est la bourse qui est décryptée (dans The Big short : Le Casse du siècle), tantôt, comme ici, ce sont les sociétés écrans qui sont passées au crible.

Ces films se veulent à la fois décontractés et pédagogiques et procèdent de l’adresse directe au spectateur. Cette manière de briser le quatrième mur est très en vogue à Hollywood : c’est une évolution de l’idéologie du « coup de coude », où un personnage vient parler directement au spectateur en lui glissant un clin d’œil complice à défaut de pouvoir venir s’asseoir directement à ses côtés dans le fauteuil. Ici deux narrateurs viennent interrompre la narration et parler directement au spectateur, tout en croisant les personnages ou en sortant du décor. C’est en quelques sortes l’extension de ces répliques narquoises dont nous abreuvent les héros hollywoodiens (le super-héros Deadpool, avec toute sa vulgarité, se résumant finalement à cette manière de faire).

Cette technique du discours direct au spectateur permet de téléguider le ressenti du spectateur tout en l’aidant d’un casting ad hoc. Les deux narrateurs (qui sont aussi des personnages) viennent nous expliquer directement ce qu’il en est. Campés par Gary Oldman et Antonio Banderas, ils ont donc ce charme et cette séduction qui viennent contredire le cynisme de leurs bidouilles financières. Et c’est rien moins que Meryl Streep qui est la victime innocente de ces délinquants en col blanc.

Le film, alors, se résume à la description à la fois cynique et décontractée de ces arnaques montées en masse et révélées lors du scandale des Panama Papers.

Mais, derrière cette décontraction et cette application pédagogique, The Panama Papers reste très terne, sans âme – on a bien du mal à reconnaître la patte de Steven Soderbergh – et l’on oublie vite ses images. On peut en garder sa dénonciation ou son caractère explicatif mais ce serait bien peu attendre du cinéma que de s’en satisfaire.




 

jeudi 5 janvier 2023

Comment analyser une séquence ?




Sans souci d'exhaustivité mais pour cerner les principaux éléments que l'on peut aborder ou développer lorsque l'on analyse une séquence de film, nous proposons le tableau suivant.
Il peut servir de trame utile pour faire le tour d'une séquence sans rien omettre d'essentiel.



mardi 3 janvier 2023

Call Me By Your Name (L. Guadagnino, 2017)

 



Si le film de Luca Guadagnino a rencontré un grand succès (critique notamment), c’est sans doute lié à l’intimité du sujet et à son traitement à la fois sobre, esthétisant et tout en sensibilité. Il faut dire que Call Me By Your Name cherche à saisir des instants, avec cette fugacité des moments où des sensations sont ressenties, partagées, admises.
Le réalisateur réussit à capter les émotions, la sensualité, la passion naissant entre les personnages – autant de sentiments qui doivent rester cachés – avec une retenue remarquable. Et le film transforme très bien la chaleur écrasante de l’Italie en une douceur sensuelle.
Guadagnino filme ainsi avec finesse le rapprochement progressif d’Elio et Oliver (rapprochement travaillé dans la mise en scène : s’ils partagent assez vite le cadre, ils mettent du temps à être côte à côte, sans distance) et, par exemple, il utilise parfaitement les statues antiques pour poursuivre la sensualité et le rapport au corps. Mais le film, en revanche – et c’est là peut-être ce qui lui manque – s’il est sensible, manque d’une profondeur poétique, de quelque chose d’indéfinissable et qu’appelait Elio (et qu’Oliver viendrait éteindre), dans son rapport au monde, aux choses, dans son détachement à fleur de peau.
On peut remarquer aussi que, dans cette initiation à l’homosexualité, la relation entre Elio et ses parents est aussi assez équivoque – notamment au travers de l’aveu de l’homosexualité passée du père – et elle vient complexifier la relation entre Elio et Oliver (relation qui n’a pas échappé aux parents et qui l’ont même, au moins inconsciemment, favorisée).