vendredi 20 janvier 2017

Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz de P. Guzman, 2010)



Beau documentaire de Guzman, qui décrit, par le biais d’images calmes et belles, comment, dans le désert d’Atacama, les chercheurs qui pointent les étoiles avec leurs télescopes géants et les femmes qui grattent le sol à la recherche de leur proches disparus (enfouis dans l’oubli par la dictature de Pinochet), scrutent tous, à leur façon, le passé.
Ayant lui-même subi les affres de la dictature, ayant par le passé filmé avec engagement tel ou tel  moment de l’histoire de son pays, Guzman semble ici avoir pris un recul qui l’apaise. C’est avec nostalgie qu’il parle du passé et qu’il interviewe ces femmes à l’impossible deuil ou ces rescapés qui se souviennent, et c’est avec calme qu’il  filme les lents mouvements cuivrés des télescopes.
Ces différentes façons de scruter le passé (celui, très humain, des blessures du Chili et celui, immense, du cosmos) est sublimement réuni par la confusion plastique entre ces zooms incroyables des cratères de la Lune et les os poreux desséchés par le désert.


mercredi 18 janvier 2017

Fight Club (D. Fincher, 1999)




Film prétendument culte aujourd'hui, Fight club dédouble avec originalité son personnage principal : au cadre moyen terne et à la vie morne, répond le personnage extravagant et violent de Tyler Durden, qui l’entraîne dans un tourbillon chaotique.
David Fincher propose, comme souvent, une mise en scène efficace mais très aguicheuse et exubérante. On s’accroche à ce double improbable (bien servi par un bon duo d’acteurs, très complémentaire) et les séquences jouent à alterner humour et violence, volontiers racoleuse. Et Fincher s'amuse à glisser des images subliminales (dont la dernière – celle d’un sexe d’homme – annoncée par Tyler Burden durant le film) qui ajoutent une touche ironique à un film au ton parfois détaché.

On aura bien du mal, en revanche, à en tirer une quelconque morale satisfaisante : le film attaque la société de consommation, certes, voilà bien une cible facile, en particulier au travers du narrateur, névrotique, dévirilisé, comme endormi dans la société, au corps ramolli. Le réveil viendra d’ailleurs d’une mise à l’épreuve des corps et d’un renoncement au confort petit bourgeois. La pulsion de vie qui est le cœur de ce qui manque au narrateur est sans doute le seul thème abordé réellement iconoclaste : ce sont les combats au corps à corps qui illustrent l'éveil de cette pulsion disparue de la société. Tyler Durden, double fantasmé, cherche à secouer le narrateur mais cela passe par la destruction de la société de consommation, symbolisée, ce qui est très convenu, par les gratte-ciels des grandes banques qui sont détruits en fin de film. Toute cette dénonciation reste bien classique et affaiblit la portée du film.



Les genres au cinéma : le cas du cinéma français



Très intéressant article de René Prédal (Le cinéma français et les genres, in CinémAction N° 68, 1993) qui explique pourquoi le cinéma français a toujours été rétif au cinéma de genre (par opposition au cinéma américain), hormis pour deux genres qu’il affectionne, le comique et le policier.
Pour le reste, Prédal est très clair :

« Si le cinéma français ne s’appuie nullement sur les genres, c’est parce qu’il a de tout temps pris une autre direction que l’on peut nommer « film psychologique » jusqu’aux années 50 puis « cinéma d’auteur » à partir de la Nouvelle Vague. De fait, les deux courants sont plus successifs que parallèles et certainement pas antagonistes. Tant qu’il n’est pas de mode pour l’auteur de s’exprimer ouvertement, l’accent est mis sur les personnages (les films de Carné-Prévert). Lorsque la Nouvelle Vague ambitionne d’écrire un film comme un roman, on retient davantage le regard porté sur les protagonistes (les films de Truffaut) mais les situations, les intrigues, les lieux mis en scène restent à peu près les mêmes. Dialogues et comédiens constituent toujours les éléments fondamentaux de ce type d’œuvre qui incarne le « film français typique » aussi bien à l’intérieur de l’hexagone que dans les festivals étrangers.
On pourrait considérer ce genre national comme l’archétype du « genre cinématographique » parce qu’il présente des caractères propres très marqués (intimisme, accent mis sur la parole et l’analyse des sentiments…), mais il nous semble plutôt constituer au contraire sa négation dans la mesure où il est inversement susceptible de toutes les adaptations, annexions, trahisons ou transformations possibles et imaginables. Héritier d’une authentique tradition culturelle nationale venue du théâtre et du roman, support idéal des petits budgets bien adaptés aux possibilités françaises de financement et tout proche du téléfilm à huis clos qu’il deviendra forcément au bout de quelques mois, le film psychologique flirte en effet avec tous les genres sans tomber vraiment dans aucun. […]
L’auteur français ne s’exprime en toute liberté qu’à travers le film psychologique. C’est là qu’il est à l’aise, qu’il obtient spontanément la confiance des décideurs comme de la critique et du public.
[…]
Nous voulions de toute manière faire seulement une constatation : le cinéma français ignore dans sa majeure partie la loi des genres parce que ce type de cinéma ne correspond ni à son passé culturel (le musical aux États-Unis est un spectacle de scène très populaire avant d’être un genre cinématographique : ce n’est pas le cas chez nous. Quant au « cinéma américain par excellence », à savoir le western, il ne correspond évidemment à rien dans l’hexagone !), ni à ses possibilités financières (le genre est spectaculaire : décors, figuration, costumes), ni à sa tournure d’esprit française (le pays de Descartes et Molière). »


lundi 16 janvier 2017

L'Éclipse (L'Eclisse de M. Antonioni, 1962)




L’Éclipse est tout à fait représentatif du style d’Antonioni. Pour parvenir à apprécier le film, il faut comprendre (et accepter) le parti-pris du réalisateur qui est de filmer les moments creux, les espaces vides, les temps morts, les entre-deux. Il faut donc accepter cette absence d’action, cet effacement des personnages, qui se détachent d’un monde qui semble vide et sans vie.
Antonioni démarre son film non pas sur une rupture dans un couple, mais sur l’instant d’après, lorsque la rupture est consommée et que les choses ont été dites et ressenties. Son film découle donc d’un évènement hors-champ (le film commence trop tard pourrait-on dire), en effet, « quand tout a été dit, quand la scène majeure semble terminée, il y a ce qui vient après » nous dit Antonioni. Et on ne voit en fait que « ce qui reste des expériences vécues ». Et l’on voit Vittoria (Monica Vitti) errer dans les rues, sans trop savoir où elle va, avec des plaisirs fugaces et de longs moments perdus, jeune et pourtant déjà tellement marquée par son passé (le couple et la rupture, qui ne nous ont pas été montrés), lasse, déjà névrosée, enfermée dans une incommunicabilité.



G. Deleuze (dans L’Image-temps) résume très bien le propos principal du réalisateur, au travers de l’interrogation sous-jacente au film : « qu’est-ce qu’est devenu l’amour pour qu’un homme ou une femme en sortent ainsi démunis, lamentables et souffrants, et qu’ils agissent et réagissent aussi mal au début qu’à la fin, dans une société corrompue ? »

Si la démarche, résolument moderne, est intéressante, le résultat est beaucoup plus discutable. On retrouve là un biais de l’art contemporain, qui se définit par une démarche et oublie quelque peu, par-delà ce prétexte de la démarche, l’œuvre.
Pour Deleuze on entre ici dans la crise de l’image-action : les personnages ne réagissent plus selon des liens sensori-moteurs, mais ils sont en errance et définissent des situations optiques et visuelles pures (par exemple lorsque Vittoria cherche le chien de sa voisine la nuit). Antonioni filme le temps pour lui-même.
Le film fonctionne donc par de lents plans, entrecoupés de cuts brusques, des à-coups narratifs, accélérant soudainement et ralentissant terriblement à d’autres. Et l’on passe, d’ellipses en ellipses sur tel ou tel moment.
Antonioni filme la ville en multipliant les cadrages géométriques, oppose les espaces grouillants (la Bourse) aux rues vides, tend à l’abstraction (des arêtes vives, des formes étranges). On peut voir du Mondrian dans ces lignes droites qui se croisent, dans ces carrefours quelconques, dans ces angles de rues et dans ces blocs d’immeubles, dans ces aplats de béton saillant. Et, toujours, cette silhouette de Monica Vitti, sans énergie, sans force de vie, que l’on accompagne le long des rues.
Elle croise Piero (Alain Delon), jeune courtier fougueux, qui ne comprend pas Vittoria, mais qui est lui aussi névrosé, corrompu, nous dit Antonioni, par la vie infiniment futile et vaine de la Bourse. Et le film brosse très bien (à coups d’évocations, de lenteur, de vide), ces deux modèles de vies jeunes mais déjà achevées et que Antonioni ne cherche pas à sauver. Chacun de ces deux personnages n’existe pas réellement : ce ne sont que des attitudes (de l’attente, du désespoir, de la fatigue).



La fin est très réussie : la concision narrative extrême d’Antonioni tire un trait définitif sur ce couple éphémère, sans une parole, sans une explication, simplement à coups de longs plans de rues vides et qui se croisent.

Malheureusement, de ce style et de ces partis-pris, deux conséquences : d’une part le film est totalement dénué de charme et d’épaisseur, tout reste froid et distant. Et, d’autre part, il faut reconnaître qu’il se dit bien peu de choses dans le film (comme dans beaucoup d’autres films d’Antonioni) : à filmer les gaps et les à-côtés, Antonioni vide la narration de sa substance. La vie est vide, semble-t-il se borner à nous dire.



vendredi 13 janvier 2017

Rogue One : A Star Wars Story (G. Edwards, 2016)




Nouvel épisode de la saga (qui va donc être exploitée comme on exploite un filon de charbon : jusqu’à ce qu’il rende l’âme) et qui constitue un moment intermédiaire entre le premier triptyque (datant des années 90-2000) et le second (datant des années 70-80). C’est donc un épisode trois et demi.
De là naissent deux contraintes majeures, l’une plutôt positive, l’autre beaucoup plus négative (pour les fans de la saga, s’entend).
Tout d’abord, aucun des personnages principaux dans le film n’étant présent dans l’épisode suivant, il est très vite tout à fait clair qu’ils vont tous mourir à la fin du film. Voilà une originalité (pour un blockbuster) tout à fait intéressante et loin des happy-ends fadasses.
Mais, comme durant cet épisode les Jedi se font rares (scénario oblige : ils sont massacrés dans le volet précédent), il n’est guère question de « force », de sabre-lasers ou d’initiation. Cette épaisseur – un peu chevaleresque, un peu mystique – très présente dans tous les autres épisodes de La Guerre des étoiles (et qui en fait une grande partie de son charme), est donc tout à fait absente (sauf au travers du personnage du moine aveugle, qui est une version tibéto-shaoline des Jedi, assez peu convaincante). Il en ressort que cet épisode est donc dénué du charme que la saga peut distiller (sur les anciens épisodes surtout) : on a finalement affaire ici à un simple blockbuster de science-fiction, efficace mais guère original.
Le film nous offre ainsi de bonnes séquences d’action, des effets visuels saisissants, avec une véritable dimension de space-opera et la dernière partie du film, sur cet aspect, est une réussite.

Il est regrettable aussi que l’on retrouve dans cet épisode deux des principaux travers de la saga. D’une part, les personnages principaux manquent cruellement de personnalité et sont aussi transparents que caricaturaux. D’autre part, le scénario offre des béances fatigantes. Par exemple : on se demande pourquoi Galène Erso, qui parvient à envoyer un message d’alerte aux rebelles, n’envoie pas l’indispensable plan de l’Étoile de la mort qui va avec ; en tant que concepteur de l’arme depuis quinze ans, la chose devait être possible…

mercredi 11 janvier 2017

Le Prisonnier de Zenda (The Prisoner of Zenda de R. Thorpe, 1952)




Bon film de Richard Thorpe, qui, dans un royaume d’Europe centrale à la sauce hollywoodienne, prend plaisir à distiller tous les ingrédients du genre, à coup de mariage royal, de princesse, de trahisons, de châteaux forts, de plongée dans les douves, de cachots et de combats d’épée.
On tient là un film hollywoodien classique du genre – avec force décors en carton-pâte –, parfaitement servi par Stewart Granger, romanesque à souhait, par Deborah Keer, merveilleusement romantique, et par un James Mason mielleux et abominable.


mardi 10 janvier 2017

Le cinéma n'est pas une langue : question de paradigmatique et de syntagmatique



Dans un aphorisme célèbre, A. Bazin nous dit que « le cinéma est un langage ».
Mais, s’il est un langage, il n’est pas une langue (malgré les tentatives de Pasolini de lui trouver une double articulation, équivalente aux monènes et phonèmes de la linguistique).
En effet, s’il y a bien une grammaire du cinéma (dont la typologie a par exemple été abordée par C. Metz), celle-ci n’est pas normative, à la différence de la grammaire des langues. On sait, par exemple, que les « grands » films sont souvent réputés pour leur effet d’originalité et de rupture. Et, par ailleurs, nous explique G. Deleuze, le cinéma n’est pas une langue parce qu’au cinéma la syntagmatique est primordiale et la paradigmatique est secondaire.
Que veut-il dire par là ?
En linguistique, un paradigme c’est l’ensemble des mots interchangeables dans l'enchaînement d'une phrase (la liste des occurrences possibles d'unités, nous disent les sémiologues). Par exemple dans la phrase « le chien mange sa pâtée », le mot « chien » peut être remplacé par toutou, animal, etc. Mais il n’existe pas non plus une infinité de mots qui peuvent remplacer le mot chien sans altérer le sens (cela parce que, dans une langue, les phonèmes sont limités). C’est du fait de cette limitation que la paradigmatique a acquis une grande importance en linguistique.
Or, au contraire, il existe au cinéma une infinité de paradigmes filmiques (dans notre exemple il existe une infinité d’images qui auraient le même sens). Ce qui fait dire à Deleuze que ce qui fait sens au cinéma ce n’est donc pas la paradigmatique, mais plutôt la succession des unités narratives, c’est-à-dire la syntagmatique.
La syntagmatique, c’est la combinaison des éléments qui assure le déroulement du récit. Dans une langue une combinaison de mots fait sens ; au cinéma une combinaison d’images.
L’image au cinéma prend donc son sens du fait de l’enchaînement syntagmatique (c’est-à-dire grâce à la série d’images qui se succèdent à l’écran) et non par rapport aux autres images – absentes – qui auraient pu se substituer à la place de celle que le film montre.
C’est ainsi qu’au cinéma la syntagmatique prédomine, à la différence de ce qu’on observe dans une langue.
Dès lors, pour Deleuze, le cinéma est une matière a-syntaxique, qui n’est pas linguistiquement formée. C'est un ensemble d'images et de signes (les signes sont produits à partir des images) qui produisent un énonçable.

On notera toutefois, histoire de corser les choses, que, dans le cinéma moderne, la narration est parfois remise en question (dans certains films de Godard, de Robbe-Grillet, de Resnais, etc.). C’est-à-dire que la structure syntagmatique ne fait plus sens justement et, même, le paradigme a tendance à l’emporter sur le syntagme : c’est ce qui brise la narration. On passe à un cinéma non-narratif (ou dysnarratif).
Or on a dit que, dans le cinéma, la syntagmatique c’est ce qui constitue, au fur et à mesure de l’avancée de la narration, le contexte. Une forte syntagmatique éclaire l’histoire. La dysnarration se traduit donc par une structure à paradigmatique forte et à syntagmatique pauvre. Le récit n’évolue plus et on constate des répétitions et des permutations des commutables (c’est-à-dire des images qui se valent), mais sans avoir de clef de compréhension. Ce n'est pas tant qu'il n'y ait rien à comprendre, c'est qu'on ne peut pas comprendre, les clefs syntagmatiques sont perdues, la compréhension est hors de propos. C’est le cas par exemple dans L’Année dernière à Marienbad où on a des lambeaux d’histoire difficiles à relier de manière certaine (Deleuze parle de nappes du passé, et l’on passe d’une nappe à l’autre sans clarté narrative). Donc le cinéma moderne propose parfois une mutation structurale du récit, avec une prévalence de la paradigmatique.


vendredi 6 janvier 2017

Délits flagrants (R. Depardon, 1994)




Intéressant documentaire de Raymond Depardon, qui pose sa caméra et laisse les scènes se dérouler (il se retire en cela de son film, à la différence de ce qu’a pu faire Jean Rouch par exemple). On assiste alors à des séries d’entrevues entre des personnes déférées (prises en flagrants délits) et le substitut du procureur. Le film est alors très répétitif, puisqu’il s’agit d’un défilé de prévenus, qui exposent à chaque fois un cas différent. Très loin de lasser, cette répétition, au contraire, fait mouche : elle happe peu à peu et on « entre » vraiment dans la pièce où siègent les protagonistes, on s’installe et on vit le moment comme en direct.
La question intéressante, ensuite, est de chercher à saisir ce qu’en pense Depardon : quel jugement porte celui qui pose ainsi sa caméra sur ce qu’il filme ? Le montage proposé n’aide guère (les choix de Depardon – pourquoi tel prévenu avant tel autre, etc. – ne sont pas clairs). On est tenté de penser que cette façon de simplement poser sa caméra pour qu’elle embrasse la scène est une façon d’approcher une attitude objective. Pourtant, Depardon lui-même, quand il s’exprime à propos de son film, laisse transparaître une subjectivité évidente : il dénonce notamment les conditions de l’entretien entre un substitut rodé à ces entrevues et des prévenus qui ne sont pas au fait de ce qui se joue. Mais cette position ne transparaît guère au travers du documentaire. Au contraire le silence du documentariste, qui n’intervient pas dans son film, laisse le spectateur libre de construire son propre regard, assez peu guidé par des choix de montage ou de prises de vue (dans des précédents documentaires, par exemple Faits divers, Depardon intervient beaucoup plus dans son maniement de caméra et au travers du montage).


mercredi 4 janvier 2017

Le réalisme selon Fellini



Fellini et le réalisme (on comprend mieux, ainsi, la part d’onirisme puissant qui irrigue son univers) :

« Le mot réalisme ne veut rien dire. Dans une certaine mesure, tout est réaliste. Il n’y a pas de frontière entre l’imaginaire et le réel. »


lundi 2 janvier 2017

Hôtel du Nord (M. Carné, 1938)




Très célèbre film de Carné (avec sa fameuse réplique en forme d’atmosphère) qui est pourtant un ton en-dessous de ses plus grandes réussites. En effet, si le brio des acteurs (Jouvet, Arletty ou Blier) emporte le film, celui-ci pâtit du couple Annabella-Jean-Pierre Aumont, important dans l’histoire mais trop fade à l’écran. Il faut dire que le couple Jouvet-Arletty écrase le film, de par le décalage entre le jeu exubérant de l’une et celui, sobre et fascinant, de l’autre. Et comme ce déséquilibre n’est guère compensé, le film semble alors plus artificiel que Le Quai des brumes ou Le Jour se lève (entre lesquels il s’intercale dans la filmographie du réalisateur), pourtant tournés comme lui en studio, mais qui dégagent une harmonie et une puissance visuelle supérieure.
La poésie du film (qui n'est pas du tout réaliste pour le coup, malgré l’étiquette habituelle de « réalisme poétique » que l’on colle à Carné) s’étend néanmoins, notamment au travers de ce mélange entre le ton, tragique et pessimiste, et les personnages pittoresques et hauts en couleur.


vendredi 30 décembre 2016

Les genres au cinéma : une définition




Suzanne Liandrat-Guigues (Le western, in CinémAction N°68, 1993) propose, en filigrane de son article, une définition de ce qu’est un genre au cinéma (son article traite du cas du western, mais sa réflexion est évidemment applicable à tous les genres) :

« Un genre est tout d’abord une collection d’œuvres, un corpus jamais fermé qui n’a pas non plus d’origine fermement assignable. Les œuvres qui ont précédé l’émergence du genre western ne constituent une origine que dans une visée rétrospective. Dans le moment où elles apparaissaient, elles ont pu tout aussi bien nouer des alliances avec d’autres catégories de films que ceux qu’on allait appeler « westerns ». Le corpus, tout en se construisant, ne cesse de tracer des voies en direction d’autres corpus (policier, science-fiction, film historique ou à costumes).
[…]
Ainsi se constituent des stéréotypes car la répétition est indissociable du genre, qui repose sur l’instauration d’un système d’attente. En même temps la répétition appelle la variation comme l’écrit un critique de l’époque du muet : « Presque dès le début du film, ce qui va arriver est évident, mais après tout un film de ce genre crée toujours chez le spectateur une attente, car il paraît incroyable qu’aucune idée nouvelle n’ait été glissée quelque part ». La variation espérée est donc elle-même constitutive du genre alors qu’elle repose sur des clichés fortement établis.
[…]
Il faut donc s’interroger sur les jeux de forces qui s’exercent et engendrent les transformations. Que celles-ci visent à faire absorber par le dispositif des éléments nouveaux et jusque-là étrangers au genre ou qu’elles libèrent des éléments anciens qui migreront vers d’autres genres ou disparaîtront, les transformations sont de nature historique.
[…]
Ce que, dans une perspective historique, on se plait à envisager comme les composants d’un système clos, échappant à toute diachronie, en réalité ne cesse de circuler d’un genre à l’autre. A ce mouvement, de vitesse et d’amplitude variées, on oppose la permanence d’une appellation générique (western), mais ce mot recouvre des réalisations différentes à chaque moment de l’histoire du genre. »


mercredi 28 décembre 2016

L’Étrange affaire Angelica (O estranho caso de Angelica de M. de Oliveira, 2010)




Très beau film de de Oliveira, au rythme lent, mais très raffiné et charnel. Le film dispense autour de lui une espèce d’impassibilité, un peu austère, mais très poétique. Au travers de l’histoire de ce photographe à la fois fasciné par les paysans qui travaillent à l’ancienne et par Angelica, cette jeune mariée morte qui lui sourit, de Oliveira joue d’un récit intemporel (relent réussi de la genèse ancienne du scénario : on ne saurait dire, par moment l’époque à laquelle se déroule son histoire) pour filmer la mort et la disparition d’un monde.
La photographie est splendide (avec un jeu de contraste et une lumière magique) et cette évocation d’un monde qui passe et disparaît est très réussie.
On pense à Peter Ibbetson, de par cet amour soudain qui vrille le photographe et se poursuit par-delà la mort, et bien sûr, à L’Aventure de Mme Muir, avec son spectre amoureux et cette étrangeté un peu fantastique qui imprègne le film.


lundi 26 décembre 2016

L'autobiographie selon Woody Allen



Woody Allen nous donne quelques pistes pour expliquer sa tendance à avoir filmé souvent les mêmes situations ou les mêmes personnages :

« Presque tout mon cinéma est autobiographique : exagéré mais vrai. Je ne suis pas social. Je ne reçois pas grand-chose du reste du monde. J’aimerais sortir de là, mais je ne peux pas. »


samedi 24 décembre 2016

La grande syntagmatique de C. Metz




Cherchant à étudier la structure narrative d’un film (c’est-à-dire l’ordonnancement des grandes unités d’un film), Christian Metz a proposé (dans ses Essais sur la signification du cinéma, 1968) une typologie des différentes séquences narratives au cinéma. Un peu comme une grammaire du cinéma si l’on veut (si ce n’est qu’une telle grammaire n’est pas normative comme pour une langue, mais qu'elle est uniquement analytique et constatée).
Bien sûr le travail de Metz est à la fois incomplet, imprécis et peu aisé à utiliser (il le reconnaît lui-même), mais, pour l’amateur, il reste un canevas de base utile qui permet d’organiser les réflexions.

1. C. Metz distingue tout d’abord la scène, qui constitue une unité, ressentie comme « concrète » et qui est analogue, nous dit-il, à ce que nous offre la vie ou le théâtre (un lieu, un moment, une petite action particulière et ramassée). S’il y a des coupures (successions de plusieurs plans), ce sont des coupures de caméra mais non diégétiques.

2. Vient ensuite la séquence, qui est pour Metz une unité plus complexe où l’action « saute » des moments inutiles (les moments sautés sont sans importance pour l’histoire) et sur lesquels le réalisateur passe. Contrairement à la scène il n’y a donc plus de coïncidence entre temps filmique et temps diégétique.
On peut, à loisir, distinguer la séquence ordinaire (avec des ellipses sur le banal d’une action qui est supprimé) ou la séquence à épisodes (où certains épisodes de l’action sont supprimés, suivant un choix narratif du réalisateur).

Ensuite, C. Metz précise : on a affaire à une suite de plans qui marchent ensemble, qui réagissent les uns sur les autres. Il les appelle des syntagmes.
Il distingue alors différents types de syntagmes. Avec tout d’abord les syntagmes non chronologiques :

3. Il décrit alors le syntagme parallèle, où, au montage, alternent des motifs qui reviennent par alternance. Par exemple : scènes de vie des riches/scènes de vie des pauvres ; images de calme/images d’agitation. Ces images ne sont pas prises dans une même action.

4. le syntagme en accolade : on voit plusieurs exemples indépendants d’un même motif (Metz parle de signifiants redondants). Par exemple le froid, exprimé par des images successives qui sont autant d’allusions illustrant le froid.

Viennent ensuite les syntagmes chronologiques. Là il distingue :

5. Le syntagme de simultanéité : c’est le syntagme descriptif, où l’on voit une suite d’images qui décrivent un lieu. Par exemple : une maison et son jardin, qui coexistent. Metz prend aussi l’exemple d’un troupeau de moutons en marche : vues des moutons, du berger, du chien, etc.

6. le syntagme alterné qui définit des consécutions (et donc bien une chronologie) : images de poursuivants/images des poursuivis ; deux joueurs de tennis où chacun est cadré au moment où la balle est à lui, etc. L’action est commune d’une image à l’autre (à la différence du syntagme parallèle) et le syntagme maintient donc rapprochés différents rameaux de la narration.

7. Il dissocie enfin les plans autonomes (les gros plans, les inserts) qui sont constitués d’un plan unique. Cette catégorie est, de son propre aveu, un peu fourre-tout.
On remarquera que, pour Metz, le plan-séquence est à ranger dans les scènes plus que dans les plans autonomes.


Sa typologie est intéressante principalement pour le cinéma narratif, autrement dit pour les films dont les segments ont entre eux une relation de type temporel (succession chronologique ou simultanéité) ou de type causal (tel élément est une cause, tel autre en est une conséquence, etc.).
Mais, dès que le cinéma n’est plus réellement narratif (cinéma à propos duquel A. Robbe-Grillet a inventé opportunément le terme de dysnarratif), cette typologie n’est plus guère pertinente ou, à tout le moins, très incomplète.


mercredi 21 décembre 2016

Quai des Orfèvres (H.- G. Clouzot, 1947)




Excellent film d’atmosphère de Clouzot, qui s’appuie sur une imprégnation sociale forte de chaque lieu où il promène ses personnages (les coulisses d’un théâtre, les locaux de la PJ, etc.) et sur des comédiens exceptionnels (quelle partition de Jouvet !). Cet attachement du réalisateur à recréer des ambiances et, par-là même, à faire du film une étude de mœurs, met presqu’au second plan la résolution de l’énigme policière. D’ailleurs le scénario est habile : la focalisation n’est pas fixe, et l’on épouse tantôt le regard de Maurice (excellent Bernard Blier), tantôt celui de sa femme ou de l’amie de sa femme, tantôt celle de l’inspecteur Antoine (Jouvet). Ces changements de focalisation dédramatisent l’opposition policier-coupable, et accentuent le bain social réaliste du film. Il n’y a guère que le regard du meurtrier que, en fait, le film n’épouse pas.
C’est que Clouzot ne nous invite pas à choisir entre le(s) présumé(s) coupable(s) et le policier, tous ont une part de sympathie et d’humanité qui les rend proches du spectateur, malgré leurs travers. De même, malgré un cynisme et une noirceur indéniable, Clouzot laisse quelques espoirs au spectateur (l’amour triomphe, sans que l’on ressente une artificielle happy-end).
Les deux seuls personnages qui, manifestement, n’ont pas la sympathie du réalisateur, sont finalement la victime… et le coupable !
On tient là un des chefs-d’œuvre incontestables du film noir à la française.



samedi 17 décembre 2016

L'Ouragan de la vengeance (Ride in the Whirlwind de M. Hellman, 1965)




Intéressant western de Monte Hellman, qui part dans des directions étonnantes pour le genre. Ici il s’agit d’une confusion où des cow-boys sont pris pour des hors-la-loi et sont poursuivis par la milice locale. Bien loin des figures hollywoodiennes, Hellman filme au plus près ces personnages communs, bien loin de tout héroïsme ou surpuissance (tout juste y a-t-il un sacrifice final). Les personnages, par cet aspect banal, sont intéressants.
On sent dans ce western la tentation de Monte Hellman, tentation qu’il exprimera bien davantage encore dans The Shooting, de dépouiller le western de ses codes habituels (en cela il s’inscrit complètement dans la revisite du genre de la fin des années soixante).



jeudi 15 décembre 2016

Les Vikings (The Vikings de R. Fleischer, 1958)




Très bon film d’action de Richard Fleisher, qui propose une version hollywoodienne des vikings, avec ce que cela suppose de kitsch ou de traits brossés à la va-vite, mais aussi avec les qualités inhérentes : l’ensemble est très bien emmené, distrayant, avec ce qu’il faut d’orgies, de batailles, de drakkars, de châteaux assiégés, de félons et de guerriers valeureux qui se battent pour les beaux yeux de la belle. Kirk Douglas fait un Einar balafré et haineux mémorable.


mardi 13 décembre 2016

Une définition de l'art de J. von Sternberg


Une définition de l'art, par J. von Sternberg :

« L’ombre, c’est la lumière, et la lumière, c’est la clarté. L’ombre cache, la lumière révèle. Savoir ce qu’il faut révéler et ce qu’il faut cacher, et à quel degré, c’est la définition de l’art. » 


dimanche 11 décembre 2016

Winter Sleep (N. B. Ceylan, 2014)




Si Nuri Bilge Ceylan a rencontré un grand succès critique avec ce film (palme d’or à Cannes) et si on y retrouve plusieurs des grandes qualités du réalisateur (facilité à construire pas à pas un univers qui s’épaissit lentement, jeu des ambiances chaudes et froides, esthétisme puissant des images), l’ensemble est moins réussi qu’Il était une fois en Anatolie.
En effet, si Ceylan pose calmement ses quelques personnages et cherche à les révéler au spectateur d’abord, à eux-mêmes ensuite, il n’y parvient qu’à demi. La lente exposition est très réussie, on voit poindre plusieurs questions (dont une qui semble principale, articulée autour de Aydin : comment vivre aisé au milieu de gens pauvres ?), mais ces questions n’aboutiront guère. Ceylan semblera oublier plusieurs pistes de cette ouverture et Aydin, cœur du film et personnage suffisamment puissant et complexe sur lequel le récit repose, reste effleuré : le Aydin de la fin du film n’est guère différent de celui du début. Il s’avoue simplement, malgré sa distance un peu cynique, sa dépendance, complexe mais effective, à sa femme. Mais ce retour chez lui a lieu sans qu’il ait véritablement traversé d’expérience humaine (au contraire de sa femme, avec la scène étonnante mais un peu vaine où elle offre de l’argent aux pauvres locataires).
On reste bien loin des révélations progressives d’Il était une fois… qui rattachaient progressivement les personnages à des genres humains tristes et affectés mais infiniment universels.

Reste une image splendide et un rythme patient et discret, qui permet de construire peu à peu les personnages et les rapports humains, en les attachant à un univers typé et exotique (pour des spectateurs occidentaux). Reste aussi cet écho magnifique des personnages aux paysages de Cappadoce, au froid ou à la chaleur, au blanc de la neige ou à la clarté jaune de l’âtre ou de la lampe de bureau.


vendredi 9 décembre 2016

Ève (All About Eve de J. L. Mankiewicz, 1950)




Film presqu’entièrement basé sur des flash-backs (on retrouve là une technique narrative chère au réalisateur), Ève est un splendide chef-d’œuvre.
Mankiewicz brosse un portrait grinçant de l’arrivisme dans le monde du spectacle, entre l'ego des acteurs et la cupidité des producteurs. Il s’appuie sur une magnifique Bette Davis, qui trouve là un de ses rôles phares, et sur des seconds rôles parfaits (Georges Stevens notamment). Anne Baxter, quant à elle, dans le rôle d’Ève, est une parfaite incarnation de l’ingénue en fait prédatrice.
La narration est d’une maîtrise totale, organisée autour de 7 flash-backs répartis entre 3 narrateurs.
La réflexion sur l’acteur et son double (Ève est le double de Margot, et la remplace progressivement, jusqu’à devenir star à son tour) est finement analysée, autant par l’adoration réelle d’Ève pour Margot (adoration qui ne l’empêchera pas de la manipuler) que par le regard de Margot sur sa propre vieillesse.


Le film, pourtant, distille moins d’affect que d’autres chefs-d’œuvre de Mankiewicz : il n’a pas le charme de La Comtesse aux pieds nus (où Mankiewicz reprendra son regard critique sur le monde du spectacle), ni le romantisme triste de Mme Muir. Eve est beaucoup plus froid et, même s’il est éclatant de brio, semble plus artificiel et technique.


Le film reste d’une importance capitale dans le cinéma, ne serait-ce que par son influence. Opening Night ou encore Tout sur ma mère reprennent plusieurs des thèmes majeurs du film et s'y réfèrent directement.


mercredi 7 décembre 2016

Les Quatre Cents Coups (F. Truffaut, 1959)




Film plein de charme, Les Quatre Cents Coups, s’il fait partie des films qui lancent la nouvelle vague, est moins radical dans sa forme que chez Godard (A bout de souffle notamment). Truffaut donne une forme de chronique, tantôt touchante et naïve et tantôt lourde de sens, à ces quelques jours de la vie d’Antoine, coincé entre ses parents (Antoine, très clairement, aime sa mère qui, de son côté, lui manifeste bien peu son amour maternel) et son instituteur. Le réalisateur joue avec les symboles : celui d’une école qui échoue à sociabiliser l’enfant, d’une ville qui l’accueille et le nourrit, d’une incapacité à s’exprimer (il écrit sur les murs de la salle de classe, vole une machine à écrire, etc.), d’un appartement familial qui l’emprisonne. Tout s’organise autour de cette relation enfant-mère-ville. Où la mère d’Antoine, elle aussi, fait l’école buissonnière en allant retrouver son amant dans les rues de Paris…
Et le film saisit merveilleusement ces improvisations d’enfant, ce milieu familial un peu bancal, avec Paris qui l’englobe comme un tout.

Jean-Pierre Léaud, dans la première apparition de son célèbre personnage, est formidable. Il montre déjà ce mélange de détachement et de spontanéité qui fera son succès. L’interrogatoire par la psychologue, en fin de film, est superbe, révélateur et très drôle.


On remarquera aussi la fin délibérément ouverte et qui annonce, d’une certaine façon, la suite des aventures de Doinel : échappé du centre de redressement, il arrive sur la plage, auprès des vagues, et la caméra saisit son regard interdit. Arrêt sur image et générique : le jeune adolescent qui recouvre sa liberté n’exprime pas une joie simple, mais une expression plus complexe que prévu et ambiguë (et qui oblige à ressentir autrement les épisodes qui précèdent).


lundi 5 décembre 2016

Préparez vos mouchoirs (B. Blier, 1978)




Amusante comédie cynique qui doit beaucoup au duo Depardieu-Dewaere qui s'en donne à cœur joie. Les deux compères sont tout à la fois acteurs et spectateurs des situations qu'ils rencontrent et que Bertrand Blier n'hésite pas à emmener au bout d'elles-mêmes (Solange qui veut un enfant finit par être comblée par un adolescent).
Le film aborde de façon drôle mais très désabusée l’échec du rapport homme-femme. Certaines séquences sont très réussies (Dewaere et sa collection de polars et de disques de Mozart, ses réparties avec Depardieu) d’autres sont insolites ou provocantes, tout à fait dans le style de Blier.



samedi 3 décembre 2016

Les reflets du réel, selon D. Sirk



Une citation de Douglas Sirk, très éclairante sur son œuvre (et sur combien d'autres ?) :


« On ne peut pas atteindre ou toucher le réel. On en voit juste les reflets. »


vendredi 2 décembre 2016

L’idéalisation de J. Demy



Une position simple, claire et très belle de Jacques Demy sur le cinéma :

« Je préfère idéaliser le réel, sinon pourquoi aller au cinéma ? »