mardi 18 octobre 2022

La Paloma (Große Freiheit Nr. 7 de H. Kaütner, 1944)

 



Le film, tourné pendant la guerre, est désavoué par la censure et suspecté de propagande, de sorte qu'il ne sortira (dans les pays alliés) qu'en 1944. Il faut dire que, loin de tout héroïsme et avec ses marins querelleurs, buveurs et parfois dépravés, on est bien loin de l’idéal du régime nazi.
Si le scénario est assez classique, en revanche, Grosse Freiheit Nr. 7 enthousiasme par l’ambiance qu’il crée et par ses personnages, à la fois hauts en couleurs et charismatiques. On pense à Hannes, à la fois dur à cuir et fragile, attachant et truculent. Le film, alors, propose un mélange étrange et très réussi de joie, d’espoir et de tristesse. Bercé de musiques et de flonflons, le tout distille une étrange humeur mélancolique.

Il faut remarquer comment Helmut Käutner fait graviter tout son film autour d’un lieu incroyable – à la fois bar, cirque et salle de spectacle – qui est montré comme le cœur battant du monde, à l’opposé de l’ailleurs qu’est la mer infinie à laquelle se rattache un idéal presque romantique.

 



samedi 15 octobre 2022

La dissonance



La séquence de la piscine dans Harold et Maude

Ce que nous entendons par dissonance, c’est lorsque, à l’écran, l’image et sa signification se contredisent, ou lorsqu’il y a une contradiction entre ce que nous dit le scénario et ce que nous dit l’image, ou encore lorsqu’il y a une contradiction entre tout ce qui sort de l’écran et arrive au spectateur.
En effet, le cinéma joue d’images, de sons, de paroles, de voix. Le cadrage et l’éclairage créent une atmosphère, les couleurs en créent une autre, la musique, les paroles ou le rythme du montage en créent d’autres. Le réalisateur peut harmoniser ces différents éléments (ce qu’il fait le plus souvent) ou, au contraire les décaler les uns par rapport aux autres et créer une dysharmonie.

Cinématographiquement, l’une des dissonances les plus saisissantes – et les plus célèbres – est celle de Stroheim lors du mariage de MacTeague dans Les Rapaces
alors que le couple reçoit la bénédiction du prêtre, un cortège funéraire passe dans la rue. Et la marche nuptiale se mue en marche funèbre. Stroheim n’hésite pas : en légère contre-plongée, derrière le prêtre, on voit passer le cercueil et son cortège.

On retrouve une belle citation de cette séquence dans Harold et Maude de Hal Ashby où c’est un cercueil sortant de l’église qui croise une fanfare tonitruante. Ashby joue de multiples dissonances dans son film avec, en particulier, la stupéfiante séquence de la piscine. S’ouvrant avec le Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski, l’image est impeccablement géométrique, calme, l'eau bleue équilibre les couleurs sombres. Sans montage, la caméra dézoome pour que l’on suive la mère qui se met à l’eau et commence à faire des longueurs, jusqu’à croiser le cadavre de Harold qui flotte à côté. L’image, alors, est géniale d'humour noir : tout allait bien et, tout à coup, plus rien ne va. En une image dissonante, Ashby résume le rapport insoluble entre Harold, qui mime le suicidé, et sa mère, indifférente, qui nage imperturbablement.

De même, dès le générique du Lauréat : The Sound of Silence de Simon and Garfunkel contraste avec l'image cadrant Dustin Hoffman, morne et impassible, entraîné par le tapis roulant. C’est toute la signification du film qui est saisie dans cette séquence.

Notons que certains films regorgent de telles dissonances (par exemple dans Buffet froid, où Bertrand Blier joue constamment sur le décalage entre les dialogues et les situations) et certains réalisateurs en sont friands (Kubrick, par exemple, jouant souvent de la musique ou du montage, aime ainsi à créer du malaise).

Le spectateur, alors, peut ressentir l'impression d'une image irréelle, hors du temps, celle d'une image mentale ou encore un malaise. Dans certains cas l’effet est davantage comique.
Mais, dans tous les cas, on tient là une utilisation magnifique du medium qu’est le cinéma puisqu’il s’agit de jouer avec les éléments mêmes qui le constituent. 



jeudi 13 octobre 2022

Le Samaritain (Samaritan de J. Avery, 2022)

 



Énième film de super-héros, distillé ici à la sauce « super-héros à la retraite », qui se développe beaucoup et permet d’essorer le sujet jusqu’à la dernière goutte. Comme il se doit, il y a dans ce registre des films quelconques très conventionnels (Logan), d’autres plus originaux (The Watchmen, Comment je suis devenu super-héros). Le Samaritain est un des représentants les plus affligeants de cette tendance à la mode. Il n’y a à peu près rien à retirer de ce film ennuyeux, aux personnages insipides ou agaçants (le garçon notamment) et à la réalisation molle.
Deux remarques néanmoins : d’une part le film ne s’extraie jamais d’une image de banlieue désaffectée et sombre assez réussie (mais dont le film ne fait rien). D’autre part, Sylvester Stallone, à rebours de ces derniers films (l'ultime Rambo notamment), cache son visage : il est moins filmé en plan rapproché et il s’abrite derrière une capuche et une barbe blanche bien taillée. Autant de mise en scène qui indique qu’il ne cherche plus à montrer son visage difforme et monstrueux en plein cadre et que ce visage – vieux, bouffi, grimaçant, éreinté, aux paupières à demi-baissées et à la bouche tordue – est, au contraire, primordial dans Rambo.

 




lundi 10 octobre 2022

Les Tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers de L. Kastle, 1970)





Dans ce film étonnant et percutant, Leonard Kastle insiste pour montrer avec beaucoup de crudité l’univers pitoyable des deux protagonistes, construit autour de leur stratagème glauque et pervers (séduire des femmes, leur promettre le mariage pour mieux les posséder quitte, si besoin, à s’en débarrasser ensuite). Raymond, avec ses cheveux postiches et ses belles paroles, et Martha, obèse et jalouse, forment un couple malsain et dépravé, à l’équilibre improbable. Kastle fait remarquablement progresser son intrigue et les personnages, sans cesse, s’enfoncent toujours plus dans l’horreur.
Loin des représentations cinématographiques conventionnelles (qui choisissent ou bien l’esthétisation ou bien l’ellipse), le film jette un regard cru et sans détour sur la violence qui fait irruption de façon de plus en plus implacable. Tout est glauque, tout est éprouvant.

En 1970 le cinéma américain continue sa mue : on est très loin du ton, de l’image et de l’univers du cinéma classique. Même De sang-froid, qui, par moments, recherche cette vision réaliste violente, reste loin de l’esthétique des Tueurs de la lune de miel. Et l'on retrouvera bien souvent des influences de cette manière crue et glauque de montrer les choses, jusque dans des films comme Henry, portrait d’un serial killer ou même Schizophrenia.



vendredi 7 octobre 2022

The Birth of a Nation (N. Parker, 2016)





Suivant l’engouement assez récent (à l’échelle de l’histoire du cinéma) des films traitant de l’esclavage (de Glory à Twelve Years a Slave, en passant par Amistad ou Django Unchained), The Birth of A Nation relate la révolte de Nat Turner.
Le titre du film annonce la couleur : il s’agit pour Nate Parker de filmer le contre-champ du film fondamental de Griffith. Le Birth of a Nation de Griffith est fondamental dans le sens cinématographique (c’est le premier film à grand spectacle mettant en scène l’épopée américaine), mais aussi parce que sa vision et sa mise en scène des Noirs (une vision racialiste raciste et « sudiste », avec des Noirs qui sont souvent des personnages naïfs et incapables) aura une forte influence sur la représentation des Noirs à Hollywood.

Parker veut donc reprendre à sa base la représentation des Noirs (ou disons des afro-américains), même si, il faut bien le reconnaître, Hollywood a depuis longtemps tourné le dos aux images de Griffith, en particulier depuis Mandingo – auquel le propriétaire de Turner renvoie : il semble bon (ou, du moins, mesuré, attaché à ses esclaves) et se durcit progressivement – de sorte que, cinématographiquement, on voit mal l’apport du film.

Par ailleurs, si le film est moins doloriste que Twelve Years A Slave (ce qui est déjà une qualité), il n’en dit pas davantage sur l’esclavage et, comme bien d'autres, il est redondant : on le sait, hélas, l'esclavage est très violent, les propriétaires sont parfois épouvantables de racisme, les punitions atroces, etc. Et si Parker – comme acteur – est charismatique, le film n’est guère passionnant : on sent bien les choses venir avec les différents moments du parcours de Turner, parcours qui, dans le film, apparaît sans aucune surprise. Parker a le bon goût, néanmoins, de ne pas trop en faire et de resituer Turner dans son époque (ses prédications, ses visions, la révolte rapidement et violemment matée).

Mais le film, qui évoque bien sûr la naissance de la nation afro-américaine, renvoie à une question qui traverse souvent les films de Spike Lee (qui travaille beaucoup cette question) : peut-on être pleinement Noir et pleinement américain ? Le titre du film semble proposer une réponse assez nette à cette question.

 

mardi 4 octobre 2022

Un acte d'amour (A. Litvak, 1953)

 
 



Étonnant film d’Anatole Litvak, qui nous projette dans une période complexe et rarement filmée (dans l'immédiat après-guerre, alors que l'armée américaine est encore à Paris). Le film, construit sur un long flash-back, est très bien pensé (le final, en ce sens, est très triste et très sombre) et cette histoire d’amour touchante est parfaitement portée par le couple dépareillé Kirk Douglas et Dany Robin.
Il y a d’ailleurs une belle curiosité à voir Kirk Douglas entouré d’acteurs français (Fernand Ledoux, Serge Reggiani, et même Brigitte Bardot, toute jeune, dans un tout petit rôle).

Si le scénario joue parfaitement avec la présence américaine en France, le personnage campé par Serge Reggiani, en revanche, frise constamment le ridicule. L’ami Reggiani, capable de bien mieux, est ici mis à rude épreuve.

 

 

lundi 3 octobre 2022

La Condition de l'homme (Ningen no jōken de M. Kobayashi, 1959)

 



Incroyable film de Masaki Kobayashi, d’une durée invraisemblable (trois parties qui totalisent plus de neuf heures de projection), mais qui lui permet de dérouler une fresque immense, entrainant son héro Kaji, porteur d’une humanité, d’un espoir et d’une vitalité immenses, au travers des mille affres de la vie. Et, sans complaisance, Kobayashi regarde l’humanité et l’inhumanité droit dans les yeux tout au long du film.
Démarrant sur des thèmes très originaux, le film s’enrichit sans cesse, à mesure que Kaji, entrainé par son destin, rencontre des supérieurs tantôt tyranniques et cruels tantôt compréhensifs, des compagnons d’infortunes bornés et violents ou bien humains et emplis de bonne volonté. Réceptacle de l’humanité du réalisateur, traversant la guerre comme un chemin de croix, Kaji personnifie l’homme confronté à une société violente et à la guerre.

En ligne directe de Kurosawa, Kobayashi film avec lyrisme et emphase, donnant une impulsion forte à des images parfois très crues, construisant des séquences magnifiques et vibrantes.

Et Kaji, marqué par les coups qu’il reçoit, par les expériences qu’il traverse, par les illusions puis les désillusions, tantôt plein de foi en son prochain, tantôt plein de colère, porté par un espoir fou et par son amour pour Michiko, écrasé par la cruauté du Japon, rassemblant autour de lui tous les espoirs de ses camarades, prophète maudit (il y a du Job dans le personnage sur lequel le destin s’acharne), achève sa quête de façon poignante, à la fois très sombre mais philosophiquement très belle.

 

Tatsuya Nakadai fait une composition exceptionnelle (mais l’on sait le très grand talent de l’acteur), donnant une humanité extraordinaire à ce personnage, qui apparait d’abord porté par des idéaux presque naïfs, reste toujours digne et inflexible, puis s’endurcit et réagit comme il peu à la violence du monde.