Si
la question semble provocatrice ou piégeuse, elle peut se résoudre, en réalité,
de façon très simple : pour déterminer ce qu’est un bon film, il faut
d’abord expliciter les critères qui permettent d’en juger (1).
Par
exemple, on sait que depuis les années 90 et l’avènement du numérique (disons à
partir de Jurassic Park), les effets
spéciaux sont de plus en plus parfaits. Dès lors, les films de science-fiction
des années 50 – pour prendre un exemple frappant – ont pris un terrible coup de
vieux et leurs effets spéciaux de carton-pâte font souvent sourire aujourd’hui.
À
voir Planète interdite, beaucoup de
spectateurs aujourd’hui s’esclaffent (devant le robot Robby notamment) alors qu’il
s’agit d’un des films de SF les plus brillants de la période. Ce qui est donc
demandé au film, implicitement mais de façon lapidaire, est d’être ressemblant ou vraisemblable. Sinon le
film est nul ou ridicule.
On
voit donc bien que le préalable à la question « qu’est-ce qu’un bon film ?
» est la question « que demande-t-on au film ? ». Ici il s’agit
de lui demander d’être ressemblant.
On peut ainsi faire le tour de quelques critères
qui sont souvent utilisés – plus ou moins implicitement – pour définir un bon
film.
On
peut aussi définir un bon film comme une réussite
technique, avec des effets de style. On peut donc admirer la perfection
technique de Kubrick, le formalisme de Tarkovski, mais aussi l’exubérance de
Welles, le maniérisme de Leone, la vista de De Palma, le style si géométrique
de Wes Anderson, les gros plans de Renoir, le montage d’Eisenstein, la caméra
fixée au ras du sol d’Ozu, les jeux de couleur de Powell, etc.
On
peut aussi trouver fondamental que le film ait une expressivité, dans le sens où il correspond à l’expression d’un
artiste. On attend du film qu’il soit authentique, unique, personnel, original,
qu’il rompe avec des conventions et ne suive pas une recette. Cela s’oppose à
un banal produit industriel et de série.
On
peut aussi aimer un film parce qu’il est engagé
et fait progresser une cause à laquelle on tient ou qui nous touche
particulièrement. On pense au réalisme social des films de Ken Loach ou des
frères Dardenne, au partisanisme de Costa-Gavras ou de Chris Marker, à L’Armée du crime de R. Guédigian ou à 120 battements par minute de R. Campillo.
Certains
spectateurs demandent au film de les emporter
dans un autre univers, loin de la salle de cinéma et du quotidien. Il
s’agit de s’évader, de rêver d’exotisme. Ce peut être au travers de films aussi
divers que Lawrence d’Arabie, Star Wars, un documentaire sur l’Afrique
de Jean Rouch ou un film asiatique qui parle d’une autre société, structurée
par d’autres manières de faire et d’autres rapports humains. D’autres
spectateurs, au contraire, sont davantage sensibles à la façon qu’a le film de leur
parler de leur quotidien, de
proposer des personnages ou des situations dans lesquels ils se retrouvent. Des
films proches d’eux et de ce qu’ils connaissent en quelque sorte. Sur ce
critère, on le voit, ce que l’on demande au film peut varier considérablement
d’un spectateur à l’autre.
Le
film, aussi, peut nous apprendre quelque
chose : soit sur un sujet que l’on ne connaît pas (dans ce sens il a un
intérêt) mais, surtout, nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes. Dans ce
sens il nous concerne, il nous parle de quelque chose qui nous est arrivé, il fait
écho à un parcours personnel. Beaucoup de teen movies suivent ce principe en étant centrés sur un adolescent
mal dans sa peau auquel le jeune spectateur s’identifie. Dans Le Cercle des poètes disparus, il y a
même plusieurs adolescents avec des sensibilités diverses qui sont au cœur du
film : le spectateur peut donc s’identifier à tel ou tel personnage.
Le
film, alors, peut aussi être une « leçon
de vie » : on peut l’interroger quand on est perdu, on peut se
retourner vers le héros qui devient un guide.
Cette
idée est très bien illustrée dans le film Narco
où Lenny Bar (campé par Benoît Poelvoorde) est un inconditionnel de Jean-Claude
Vandamme : il s’en réfère toujours à lui, au moindre problème qui ne
manque pas de survenir (jusqu’à ce que, très intelligemment, Vandamme
apparaisse réellement – dans une mise en abyme savoureuse – pour épauler le
pauvre Lenny dépressif). On retrouve le même jeu de mise en abyme dans Rango où c’est rien moins que L’Homme
sans nom/Clint Eastwood qui vient remonter le moral de Rango le caméléon.
On
sera donc plus ou moins sensible à ces films qui créent une complicité intime
avec un personnage fictif (qui peut d’ailleurs être confondu avec un acteur).
De
façon très simple aussi, un bon film peut être celui qui a du succès. De sorte que pour savoir si La Liste de Schindler est un bon film,
il n’y a qu’à voir le nombre de récompenses qu’il a pu recevoir.
On
devra néanmoins ne pas oublier d’une part que des films exceptionnels n’ont pas
eu de récompenses alors que des films tout à fait quelconques ont été
récompensés, et, d’autre part, il faudrait préciser ce que signifie « avoir du succès ». S’agit-il
d’avoir des récompenses institutionnelles (Oscars, Palme d’or, etc.), d’avoir
un succès en salle ou bien d’être adoré des critiques ? Si l’on compare le
palmarès du box-office avec celui du festival de Cannes, on ne trouvera guère
de films en commun.
On
peut aussi prendre en compte l’influence
du film sur le cinéma : s’il a eu un impact sur un genre ou sur
d’autres réalisateurs. Il est bien entendu que La Règle du jeu n’en finit pas d’infuser le cinéma, de même que Rome, ville ouverte (avec quelques autres
films) a ouvert une voie considérable. Et il en est de même de nombreux films
de Griffith, Murnau, Ford ou Hitchcock mais aussi de films moins connus (La Servante par exemple).
Un
bon film, enfin, peut être celui qui émeut
le public : il fait rire, il fait pleurer.
Qu’une
comédie fasse rire, n’est-ce pas là tout ce qu’on lui demande ? D’ailleurs Chaplin
n’est-il pas ce génie qui a fait à la fois rire et pleurer la Terre
entière ? Et Le Mensonge
d’une mère – qui, dans Cinema Paradiso, fait pleurer la salle – est un chef d’œuvre.
Laurent Jullier, dans son livre Qu’est-ce qu’un bon film ? définit
quant à lui six critères qu’il développe longuement (2). Les critères qu’il
retient pour désigner un bon film sont : un bon film a du succès, il est une
réussite technique, il nous apprend quelque chose, il nous émeut, il est
original, il est cohérent.
Comme on le voit, si nous le suivons totalement dans la nécessité de critérier
les choses, nous ne partageons pas tout à fait les mêmes critères. Qu’importe,
l’essentiel est de dire explicitement les critères que l’on choisit.
Nous avons déjà eu l’occasion d’expliciter d’autres critères, plus subjectifs, mais qui
nous semble décisifs. Nous retenons notamment l’importance de l’expression par l’image, les traces dans le film de ses origines et l’évolution des personnages. Étant bien entendu que chacun, en tant que spectateur, est
à même de retenir les critères qui lui tiennent à cœur, dès lors qu’il les
énonce clairement.
Si l’on veut
faire correspondre l’ensemble de ces critères avec les différentes manières de parler d’un film (et notamment la partition objectif/subjectif), on peut
proposer le tableau suivant :
1. un bon film est une réussite technique ;
2. un bon film a de l’influence ;
3. un bon film s’exprime par l’image ;
4. un bon film garde les traces de ses origines ;
5. un bon film montre une évolution de ses personnages ;
6. un bon film procure une émotion.
On s’apercevra alors que, très vite, ce sont les choix de critères qui varient beaucoup d’un spectateur à l’autre (tout le monde n’attend pas la même chose d’un film, loin s’en faut) et, si l’on s’accorde sur les critères, les avis sont peut-être plus homogènes que ce que l’on pense.
Enfin il ne faut pas oublier que, en tant que spectateur, notre regard se modifie sans cesse. C’est ce que nous dit Cole, le personnage au cœur de L’Armée des douze singes, devant Vertigo : « Le film est toujours le même, il ne change pas, mais à chaque vision il semble différent parce qu'on est différent, on le voit différemment ».
(2) : Qu’est-ce qu’un bon film ?, Armand Colin, 2002. Jullier montre très bien, notamment, à quel point les critiques institutionnelles sous-entendent des critères mais ne les explicitent jamais réellement. Elles font comme si cela « allait de soi » ou « allait sans dire ».
Les commentaires systématiquement dithyrambiques sur des films politiques (par exemple ceux de Ken Loach) ou toujours assassins sur des films de guerre (par exemple 300 de Z. Snyder ou American Sniper) prennent leur source dans l’interprétation politique du film, critère qui, on le voit, prime sur tous les autres et restreint considérablement le regard porté sur un film. On peut tout à fait trouver ce critère primordial, mais encore faut-il le dire clairement.
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