vendredi 3 juin 2022

Qu'est-ce qu'un bon film ?

 



Si la question semble provocatrice ou piégeuse, elle peut se résoudre, en réalité, de façon très simple : pour déterminer ce qu’est un bon film, il faut d’abord expliciter les critères qui permettent d’en juger (1).
Par exemple, on sait que depuis les années 90 et l’avènement du numérique (disons à partir de Jurassic Park), les effets spéciaux sont de plus en plus parfaits. Dès lors, les films de science-fiction des années 50 – pour prendre un exemple frappant – ont pris un terrible coup de vieux et leurs effets spéciaux de carton-pâte font souvent sourire aujourd’hui.

À voir Planète interdite, beaucoup de spectateurs aujourd’hui s’esclaffent (devant le robot Robby notamment) alors qu’il s’agit d’un des films de SF les plus brillants de la période. Ce qui est donc demandé au film, implicitement mais de façon lapidaire, est d’être ressemblant ou vraisemblable. Sinon le film est nul ou ridicule.
On voit donc bien que le préalable à la question « qu’est-ce qu’un bon film ? » est la question « que demande-t-on au film ? ». Ici il s’agit de lui demander d’être ressemblant.
On peut ainsi faire le tour de quelques critères qui sont souvent utilisés – plus ou moins implicitement – pour définir un bon film.

On peut aussi définir un bon film comme une réussite technique, avec des effets de style. On peut donc admirer la perfection technique de Kubrick, le formalisme de Tarkovski, mais aussi l’exubérance de Welles, le maniérisme de Leone, la vista de De Palma, le style si géométrique de Wes Anderson, les gros plans de Renoir, le montage d’Eisenstein, la caméra fixée au ras du sol d’Ozu, les jeux de couleur de Powell, etc.

On peut aussi trouver fondamental que le film ait une expressivité, dans le sens où il correspond à l’expression d’un artiste. On attend du film qu’il soit authentique, unique, personnel, original, qu’il rompe avec des conventions et ne suive pas une recette. Cela s’oppose à un banal produit industriel et de série.

On peut aussi aimer un film parce qu’il est engagé et fait progresser une cause à laquelle on tient ou qui nous touche particulièrement. On pense au réalisme social des films de Ken Loach ou des frères Dardenne, au partisanisme de Costa-Gavras ou de Chris Marker, à L’Armée du crime de R. Guédigian ou à 120 battements par minute de R. Campillo.

Certains spectateurs demandent au film de les emporter dans un autre univers, loin de la salle de cinéma et du quotidien. Il s’agit de s’évader, de rêver d’exotisme. Ce peut être au travers de films aussi divers que Lawrence d’Arabie, Star Wars, un documentaire sur l’Afrique de Jean Rouch ou un film asiatique qui parle d’une autre société, structurée par d’autres manières de faire et d’autres rapports humains. D’autres spectateurs, au contraire, sont davantage sensibles à la façon qu’a le film de leur parler de leur quotidien, de proposer des personnages ou des situations dans lesquels ils se retrouvent. Des films proches d’eux et de ce qu’ils connaissent en quelque sorte. Sur ce critère, on le voit, ce que l’on demande au film peut varier considérablement d’un spectateur à l’autre.

Le film, aussi, peut nous apprendre quelque chose : soit sur un sujet que l’on ne connaît pas (dans ce sens il a un intérêt) mais, surtout, nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes. Dans ce sens il nous concerne, il nous parle de quelque chose qui nous est arrivé, il fait écho à un parcours personnel. Beaucoup de teen movies suivent ce principe en étant centrés sur un adolescent mal dans sa peau auquel le jeune spectateur s’identifie. Dans Le Cercle des poètes disparus, il y a même plusieurs adolescents avec des sensibilités diverses qui sont au cœur du film : le spectateur peut donc s’identifier à tel ou tel personnage.

Le film, alors, peut aussi être une « leçon de vie » : on peut l’interroger quand on est perdu, on peut se retourner vers le héros qui devient un guide.
Cette idée est très bien illustrée dans le film Narco où Lenny Bar (campé par Benoît Poelvoorde) est un inconditionnel de Jean-Claude Vandamme : il s’en réfère toujours à lui, au moindre problème qui ne manque pas de survenir (jusqu’à ce que, très intelligemment, Vandamme apparaisse réellement – dans une mise en abyme savoureuse – pour épauler le pauvre Lenny dépressif). On retrouve le même jeu de mise en abyme dans Rango où c’est rien moins que L’Homme sans nom/Clint Eastwood qui vient remonter le moral de Rango le caméléon.
On sera donc plus ou moins sensible à ces films qui créent une complicité intime avec un personnage fictif (qui peut d’ailleurs être confondu avec un acteur).

De façon très simple aussi, un bon film peut être celui qui a du succès. De sorte que pour savoir si La Liste de Schindler est un bon film, il n’y a qu’à voir le nombre de récompenses qu’il a pu recevoir.
On devra néanmoins ne pas oublier d’une part que des films exceptionnels n’ont pas eu de récompenses alors que des films tout à fait quelconques ont été récompensés, et, d’autre part, il faudrait préciser ce que signifie « avoir du succès ». S’agit-il d’avoir des récompenses institutionnelles (Oscars, Palme d’or, etc.), d’avoir un succès en salle ou bien d’être adoré des critiques ? Si l’on compare le palmarès du box-office avec celui du festival de Cannes, on ne trouvera guère de films en commun.

On peut aussi prendre en compte l’influence du film sur le cinéma : s’il a eu un impact sur un genre ou sur d’autres réalisateurs. Il est bien entendu que La Règle du jeu n’en finit pas d’infuser le cinéma, de même que Rome, ville ouverte (avec quelques autres films) a ouvert une voie considérable. Et il en est de même de nombreux films de Griffith, Murnau, Ford ou Hitchcock mais aussi de films moins connus (La Servante par exemple).

Un bon film, enfin, peut être celui qui émeut le public : il fait rire, il fait pleurer.
Qu’une comédie fasse rire, n’est-ce pas là tout ce qu’on lui demande ? D’ailleurs Chaplin n’est-il pas ce génie qui a fait à la fois rire et pleurer la Terre entière ? Et Le Mensonge d’une mère – qui, dans Cinema Paradiso, fait pleurer la salle – est un chef d’œuvre.


Laurent Jullier, dans son livre Qu’est-ce qu’un bon film ? définit quant à lui six critères qu’il développe longuement (2). Les critères qu’il retient pour désigner un bon film sont : un bon film a du succès, il est une réussite technique, il nous apprend quelque chose, il nous émeut, il est original, il est cohérent.
Comme on le voit, si nous le suivons totalement dans la nécessité de critérier les choses, nous ne partageons pas tout à fait les mêmes critères. Qu’importe, l’essentiel est de dire explicitement les critères que l’on choisit.


Nous avons déjà eu l’occasion d’expliciter d’autres critères, plus subjectifs, mais qui nous semble décisifs. Nous retenons notamment l’importance de l’expression par l’image, les traces dans le film de ses origines et l’évolution des personnages. Étant bien entendu que chacun, en tant que spectateur, est à même de retenir les critères qui lui tiennent à cœur, dès lors qu’il les énonce clairement.

Si l’on veut faire correspondre l’ensemble de ces critères avec les différentes manières de parler d’un film (et notamment la partition objectif/subjectif), on peut proposer le tableau suivant
:


De notre coté, nous proposons de retenir d’abord les critères suivants, qui nous semblent les plus essentiels :

    1. un bon film est une réussite technique ;
    2. un bon film a de l’influence ;
    3. un bon film s’exprime par l’image ;
    4. un bon film garde les traces de ses origines ;
    5. un bon film montre une évolution de ses personnages ;
    6. un bon film procure une émotion.

On s’apercevra alors que, très vite, ce sont les choix de critères qui varient beaucoup d’un spectateur à l’autre (tout le monde n’attend pas la même chose d’un film, loin s’en faut) et, si l’on s’accorde sur les critères, les avis sont peut-être plus homogènes que ce que l’on pense.

Enfin il ne faut pas oublier que, en tant que spectateur, notre regard se modifie sans cesse. C’est ce que nous dit Cole, le personnage au cœur de L’Armée des douze singes, devant Vertigo : « Le film est toujours le même, il ne change pas, mais à chaque vision il semble différent parce qu'on est différent, on le voit différemment ».




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(1) : Nous considérerons ici le film seul, alors qu’il est souvent intégré dans un moment de vie et qu’il peut être adapté à telle ou telle situation. On ne regardera pas le même film selon que l’on est seul, en famille, en couple, autour d’une bière avec des amis, etc. Dès lors, le film est souvent adapté à une situation  (« distrayant quand on a envie de se distraire »), et à la question de ce qu’est un bon film, on pourrait tout à fait répondre que cela dépend d’abord de la situation.

(2) : Qu’est-ce qu’un bon film ?, Armand Colin, 2002. Jullier montre très bien, notamment, à quel point les critiques institutionnelles sous-entendent des critères mais ne les explicitent jamais réellement. Elles font comme si cela « allait de soi » ou « allait sans dire ».

Les commentaires systématiquement dithyrambiques sur des films politiques (par exemple ceux de Ken Loach) ou toujours assassins sur des films de guerre (par exemple 300 de Z. Snyder ou American Sniper) prennent leur source dans l’interprétation politique du film, critère qui, on le voit, prime sur tous les autres et restreint considérablement le regard porté sur un film. On peut tout à fait trouver ce critère primordial, mais encore faut-il le dire clairement.


 

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