lundi 23 juillet 2018

Detroit (K. Bigelow, 2017)





Film assez décevant de Kathryn Bigelow sur les émeutes qui ont secoué Détroit en 1967. Après une première demi-heure exceptionnelle où elle plonge au cœur des quartiers en ébullition pour en sentir la violence (avec un grondement qui explose et autant de confrontations auxquels s’entremêlent des images d’archives et des moments de contraste très réussis, comme la scène au théâtre), Bigelow zoome sur le moment clef qui l’intéresse (la police qui tente de retrouver un tireur isolé dans un motel) et, dès lors, perd ce regard génial. On comprend alors qu’on ne reviendra plus à cette image saisie d’une Amérique embrasée mais que l’on restera auprès de ces quelques flics racistes qui s’en prennent à ces quelques noirs innocents.
Cette séquence, très longue (presque filmée en temps réel), Bigelow l’amène jusqu’à l’insoutenable, tout autant pour les pauvres innocents harcelés, tabassés et coincés contre le mur que pour le spectateur, coincé lui dans son siège, et qui attend que Bigelow reprenne sa narration. Ce qu’elle fera finalement, pour passer presque directement, après une ellipse de deux ans, au procès des policiers, loin des émeutes.
Las, c’est sans doute dans sa reconstitution de l’ambiance de guerre urbaine que Detroit était le plus génial, et non dans son application à disséquer un événement précis.


Un des points intéressants – et que Bigelow aborde sans toutefois insister – est que, face à ces racistes qui ont le pouvoir, la prise de position est inévitable : se compromettre avec eux (ce que fait, finalement, le vigile Dismukes, qui cherche d’abord à amadouer de façon très diplomatique les policiers, avant de regarder impuissant les choses se faire) ou se recroqueviller dans sa communauté comme le fera Larry, sorti brisé de cette nuit d’enfer.

Mais on ne trouve guère de regard dans ce film – ce qui l’affaiblit considérablement – autre que celui très convenu sur la violence bornée et sans limite de quelques flics racistes. On est d’ailleurs un peu peiné de constater que, dans Detroit comme dans une vulgaire série B, les gentils ont de bonnes bouilles (qu’ils soient flics, vigiles ou chanteurs de soul) et les méchants (les flics racistes) des sales trognes un peu vicelardes. Dès lors, même si Bigelow introduit rapidement quelques contre-feux (on croise des flics sympas), la simplicité du propos politique (propos politique inévitable sur un thème brûlant comme celui de la question raciale) laisse clairement sur sa faim. Ce d'autant plus que le film, quand bien même il se situe en 1967, semble terriblement actuel, puisque, dans l'Amérique d'aujourd'hui, ces questions raciales – avec les ghettosles communautés, les terribles tensions – sont loin d'être réglées.


vendredi 20 juillet 2018

Le Fauve est lâché (M. Labro, 1959)




Film d’action assez bien mené et rythmé, même s’il n’est pas très original. Truand rangé (fauve endormi donc), Paul Lamiani est extirpé de sa retraite professionnelle par la DST qui a besoin d’infiltrer une bande de gangsters qui fait dans l’espionnage industriel. Sa nouvelle vie mise à bat, Paul replonge bon an mal an dans les embrouilles et, quand on touche à son fils, il s’énerve (voilà la fauve lâché). Le film suit donc des lignes assez classiques (un truand qui s’est acheté une conduite, des trahisons, des menaces, des méchants et d’autres méchants encore plus redoutables, une femme fatale, etc.).


On regarde aujourd’hui le film pour le charisme de Ventura (dans un rôle d’homme d’action bourru qui annonce celui de Classe tout risques où il se souciera davantage encore de sa famille) et pour quelques moments bien filmés, notamment la fameuse séquence d’Étretat avec l’escalier qui s’enfonce dans la falaise.

mercredi 18 juillet 2018

Le Petit prof (C. Rim, 1959)




Amusant film qui retrace la vie d’un citoyen ordinaire : son enfance, son adolescence sous l’occupation, jusqu’à sa vie adulte avec femme et enfant, comme professeur. Le ton léger rappelle Sacha Guitry, avec la voix off, les situations incongrues bien amenées et un air de ne pas y toucher amusant.
Le film promène un regard tendre (mais jamais stupide) sur cette France qui se vit comme neuve et libre mais qui est aujourd’hui bien désuète.
Darry Cowl est très bien dans la peau de ce personnage parfois un peu lunatique et décalé mais parfois pragmatique et efficace et certaines séquences sont très réussies.


lundi 16 juillet 2018

Histoire de détectives (Detective Story de W. Wyler, 1951)




Ce polar noir semble assez hybride : il a une volonté de raconter le quotidien de flics de quartier avec un certain réalisme (en s’attardant sur des détails et des situations communes, loin de tout héroïsme), mais, dans le même temps, Wyler, en posant sa caméra dans les locaux de la police, donne l’impression de filmer une pièce de théâtre. Assez curieusement l’ensemble tient debout et le film parvient à dégager une impression différente des habituels films hollywoodiens.
Kirk Douglas est très bien dans un rôle loin des standards hollywoodiens et les seconds rôles sont parfaitement tenus eux aussi.



vendredi 13 juillet 2018

Le Caporal épinglé (J. Renoir, 1962)




Pour ce qui sera son dernier film, Jean Renoir revient sur le film de guerre. Mais si Le Caporal épinglé reprend des questionnements de La Grande illusion, le regard de Renoir y est très différent.
Pour son dernier film, Renoir ne fait plus appel à des acteurs stars ou immensément reconnus (La Grande illusion consacrait Gabin, Fresnay, Stroheim, Carette, Dalio, etc.) mais à des petits nouveaux (Jean-Pierre Cassel, Claude Brasseur, Claude Rich, Jean Carmet) qui sont tous parfaits (on regrette malgré tout le personnage de benêt bègue surjoué par Guy Bedos).
En déplaçant l’intrigue de la première à la seconde guerre mondiale, c’est une autre perception de son pays que filme Renoir. En effet il n’y a plus, ici, la moindre trace de patriotisme : la France a disparu des radars, seuls restent des individus qui se débattent comme ils peuvent, mais jamais pour leur pays ou pour sauver ce qui peut l’être. Caporal le dit bien (« c’est à nous de nous démerder tout seul ») et Ballochet fait ses petits arrangements sans autre préoccupation que son petit confort. Il y a bien quelques petites magouilles entre soldats, mais il n’y a nulle idée de collectif dans ces camps de prisonniers : la France est battue, les soldats sont perdus. En filmant cet élan national brisé, Renoir marque l’écart avec la situation des prisonniers de La Grande illusion qui, par exemple, apprenant la reprise de Douaumont, interrompent leur petit théâtre pour chanter la Marseillaise. De même, l’inutilité de la mort de Ballochet (qui se jette dans une évasion suicide sans illusion) contraste avec le célèbre sacrifice du capitaine de Boëldieu.

Le film suit alors les tentatives répétées et incessantes du Caporal pour s’évader (mais, s’il veut s’évader ce n’est pas pour reprendre le combat ou rejoindre la résistance, simplement il n’en peut plus d’être enfermé).
Renoir construit son film autour du même axe que La Grande illusion, à savoir le jeu entre les classes sociales qui se mélangent parmi les prisonniers et entre prisonniers et gardiens. Mais les choses changent : ce ne sont plus les aristocrates qui se retrouvent (de Boëldieu et von Rauffenstein qui fraternisent) mais le petit peuple (les deux adjudants qui se plaignent des tire-au-flanc). Et, on l’a dit, ce n’est plus de Boëldieu qui se sacrifie pour permettre à ses compagnons de s’évader mais l’intellectuel Ballochet qui se lance en solitaire dans une évasion-suicide. Et les classes sociales se mélangent davantage : Caporal et Papa, l’un bourgeois et l’autre homme du peuple, ne se quittent pas et s’enfuient ensemble. L'amitié de Papa qui reste collé aux basques de Caporal (« Ma terre à moi c’est là où est mon copain ») contraste avec la distance qui restera toujours entre Maréchal, l’homme du peuple, et de Boëldieu, l’aristocrate.
Le film marque une dernière fois la disparition de toute idée de patriotisme lorsque Caporal et Papa, qui parviennent jusqu’à la frontière, croisent la route de ce Français installé à deux pas de la France mais qui n’aspire pas à y rentrer : il se sent chez lui ici, au lieu d’être exploité sur les terres des autres en France. Là aussi le film creuse l’écart avec La Grande illusion, dans lequel Maréchal quittait Elsa pour rentrer au pays.
En plus de quelques jeux cinématographiques qui émaillent le film (par exemple le montage alterné entre le défilé allemand et le déplacement des prisonniers français), le coup de patte de Renoir transparaît dans le traitement chaleureux de ces hommes et dans cette multiplicité de petits portraits et de petites situations et cette amitié qui est toujours merveilleusement filmée.


Et, en revenant une dernière fois sur l’amitié qui traverse les classes sociales (avec Caporal qui promet à Papa, alors qu’ils viennent de rentrer à Paris, qu’ils vont se revoir très vite, à la grande surprise de Papa), Renoir choisit une fin résolument optimiste.


mercredi 11 juillet 2018

Apocalypse 2024 (A Boy and His Dog de L. Q. Jones, 1969)




Film d’anticipation (situé après une apocalypse nucléaire) bien peu passionnant, qui a bien quelques bonnes idées et une certaine dose d’humour noir, mais le tout est gâchée par une réalisation sans âme, un rythme lent et une pauvreté de moyens qu’un manque d’imagination ne parvient pas à masquer.
L’idée d’un homme qui converse avec son chien n’est pas mauvaise mais elle est traitée de façon assez ridicule. De même toute la guerre pour la survie dans le désert part d’une bonne idée mais elle est bien mal reliée avec le monde des profondeurs. La toute dernière séquence, cependant, est d'un cynisme réussi.
On peut aussi trouver dans ce film quelques motifs qui seront revisités dans Mad Max : un désert post-apocalyptique, des bandes errantes qui violent et tuent, un chien pour seul compagnon, etc.

lundi 9 juillet 2018

Un mauvais fils (C. Sautet, 1980)




Petit film de Claude Sautet, qui explore non pas le monde bourgeois comme il le fait si souvent, mais la petite vie d’un ouvrier et de son fils.
Si son matériau change, il reprend ses thèmes habituels : il scrute les liens, les non-dits, les sentiments cachés, les culpabilités, les mensonges.
Le problème de Sautet est que son cinéma a besoin de très grands acteurs, capables de faire passer l’émotion sans mots, en un regard, en un léger changement d’expression du visage. Patrick Dewaere le fait très bien, un peu chien fou, toujours sur le fil du rasoir, toujours à la limite de trop en faire. Les autres acteurs font ce qu’ils peuvent mais la tâche est difficile pour Jacques Dufilho ou Brigitte Fossey. Yves Robert s’en sort mieux avec un jeu très sérieux et mutique qui finit par fonctionner.

vendredi 6 juillet 2018

The Yards (J. Gray, 2000)




Beau film de James Gray dont la patte de réalisateur parvient à sortir du tronc commun des films sur ce thème (un jeune qui sort de prison et veut bien faire se trouve emmêlé dans des histoires de corruption qui dégénèrent très vite et lui échappent). Gray ne construit pas un film d’action mais un film très sensible, en s’attachant à montrer le récit à travers les yeux de Leo (très bon Mark Wahlberg, au visage fermé d’adolescent), dont il capte toute la sensibilité de jeune homme, perdu, prenant de mauvaises décisions, croyant pouvoir faire confiance à ceux qui l’entourent (notamment Willie – très bon Joaquin Phoenix) et qui, rapidement, vont le perdre.
On voit bien que James Gray, même sur des thèmes qui pourraient appeler à un film rythmé et empli de scènes d’action, se tourne vers un rythme lent, au ton intimiste, où chaque plan est remarquablement construit, isolant parfaitement ses personnages dans le cadre (notamment Leo, de plus en plus seul), jouant de lumières ou s’amusant avec des plans étonnants (il n’hésite pas à « enlever » une cloison pour montrer deux personnages de part et d’autre d’une porte). Il ressort de son film une impression à la fois douce et prenante, comme une lente marche du destin.



On regrette la toute fin du film avec le revirement surprenant de Leo, mais il semble bien que cette fin ait été imposée à Gray, qui n’avait pas encore, à ce moment de sa carrière, la main sur le montage final.

mercredi 4 juillet 2018

Le Jour du dauphin (The Day of the Dolphin de M. Nichols, 1973)




Partant d’une idée intéressante – la subversion à des fins militaires de recherches scientifiques innovantes – le film est gâché par un rythme très lent qui ne fait qu’effleurer son sujet. Le traitement du cœur du sujet – les dauphins qui parlent – est très mal rendu et laisse perplexe : les petites phrases aiguës et laborieuses du dauphin collent bien mal avec le ton de plus en plus tragique de ce qui se trame (espionnage, commando, etc.).

lundi 2 juillet 2018

Pattes blanches (J. Grémillon, 1949)




Très beau film de Jean Grémillon qui parvient à relier deux aspects de son talent : d’une part la description d’un milieu social (ici un petit village de Bretagne, dont il brosse plusieurs portraits de villageois), et d’autre part un ton poétique et parfois même onirique qui déborde parfois de l’image. Il assemble en fait la description sociale fine telle qu’on la trouve dans Le Ciel est à vous avec la poésie folle de Daïnah la métisse.
Partant d’un ressort classique (l’arrivée dans le petit village d’une jolie femme qui déclenche les passions), Grémillon s’appuie sur des personnages complexes et contrastés, bien souvent solitaires et rejetés (Julien de Kériadec, Maurice ou Mimi) et qui construisent un enchevêtrement de destins (puisque le passé – avec les demi-frères qui se haïssent – n’est jamais loin). Le plaisir du film vient aussi de l'excellente distribution, avec notamment Fernand Ledoux qui compose un personnage à la fois dur et pitoyable, esclave de son amour. Suzy Delair est elle aussi remarquable, tout à la fois mordante et fragile, superficielle et profondément touchée.



Grémillon joue magnifiquement des extérieurs, montrant la solitude des uns, les jalousies des autres, les ressorts complexes qui unissent les personnages. Certaines séquences sont magnifiques, parfois emplies de poésie (les déambulations dans le château aux pièces recouvertes de paille) ou d’une pulsion de vie baroque et onirique (l’extraordinaire climax de la scène de mariage qui vire au conflit dans la lande). Ce mélange de motifs, souvent difficile, est ici parfaitement réussi.

samedi 30 juin 2018

Police spéciale (The Naked Kiss de S. Fuller, 1964)




Police spéciale (1) vaut à la fois par son portrait de femme étonnant et par son style vigoureux et très marquant, asséné par Samuel Fuller. A partir d’un noir et blanc magnifique, Fuller joue avec des scènes oniriques, des angles de caméra forcés, des contrastes de lumière, des gros plans. Et il met parfaitement en scène Kelly (Constance Towers, magnifique et touchante), en la filmant tantôt aguicheuse, tantôt ange tragique, tantôt douce, tantôt forte. La scène d’ouverture est remarquable, de même que ces plans de Kelly, derrière les barreaux, déchue une nouvelle fois.



Au travers de l'histoire de Kelly, la prostituée qui se bat pour avoir une seconde chance, qui croit la tenir, puis qui doit se battre à nouveau, le film distille un moralisme un peu étonnant de la part de Fuller : la rédemption de la prostituée qui devient infirmière auprès d’enfants handicapés est un peu forcée.
Mais la puissance du style de Fuller et le portrait de cette femme qui veut redémarrer et forcer son destin sont très réussis.







________________________________

(1) : On reste perplexe, une nouvelle fois, par le titre français, tout à fait incompréhensible (et mensonger), bien loin de The Naked Kiss, titre à la fois velouté et sombre.

jeudi 28 juin 2018

Le Monde tremblera (R. Pottier, 1939)




Très intéressant film de science-fiction français (genre peu visité par le cinéma français, surtout à cette époque), qui est organisé autour d’une idée géniale (une machine qui prévoit le moment précis de la mort, à la minute près) et qui scrute parfaitement les réactions de chacun face à la prédiction (ou à la crainte d’une prédiction) : certains rattrapent le temps perdu, certains s’affligent, d'autres règlent leurs comptes, etc. Bien entendu le film laisse planer un doute magnifique entre la pure prédiction et la prédiction auto-révélatrice (sans l’annonce de la mort, les événements qui se seraient enchaînés différemment auraient-ils conduit jusqu’à la mort ?).
Même si la mise en scène n’est pas très originale, le film bénéficie, en plus de l’idée de départ, d’une excellente distribution, avec Claude Dauphin (très bien en médecin cynique), Julien Carette et Erich von Stroheim, remarquable dans deux scènes très fortes (quand il découvre le temps qu’il lui reste à vivre et ses derniers instants).
Si les effets visuels liés à la machinerie sont très datés, le film, par ailleurs, interpelle de par la puissance de son idée de départ, qui emmène vers une métaphysique passionnante.


mardi 26 juin 2018

The Strawberry Blonde (R. Walsh, 1941)




Douce comédie de Raoul Walsh, teintée de romantisme, et dont l’ambiance un peu nonchalante est emplie d’une touche d’humour originale. Construit sur un grand flash-back, le film s’amuse avec ses personnages et le jeu d’opposition entre Rita Hayworth et Olivia de Havilland est très drôle : Biff (James Cagney) lorgne sur la première et se rabat sur la seconde.



Ce jeu entre deux femmes séduisantes et la double vengeance de Biff – à la fois en tant que dentiste mais aussi parce que la femme qu’il désirait ce révèle impossible à vivre – sont délicieux.
Raoul Walsh, loin de ses habituels rythmes emplis d'action, filme parfaitement James Cagney, lui aussi loin de ses habituels rôles de gangsters, impeccable dans le rôle d'un personnage volontiers ridiculisé. Il élargit ainsi sa palette d’acteur et annonce les rôles purement comiques qu’il jouera plus tard (Un, deux, trois de B. Wilder par exemple).


lundi 25 juin 2018

Police fédérale Los Angeles (To Live and Die in L.A. de W. Friedkin, 1985)




Important polar des années 80, Police fédérale Los Angeles (1) reprend les codes esthétiques entrevus dans Scarface ou dans la série Deux flics à Miami (au point que Michael Mann, producteur de la série, fera un procès pour plagiat à Friedkin).
Mais, au-delà de cette esthétique très typée années 80 (depuis le look de Chance jusqu’à la musique électronique du groupe Wang Chung), c’est le parcours de Richard Chance qui est très réussi. Aveuglé par son idée fixe (capturer le faux-monnayeur Rick Masters), il prend sans cesse de mauvaises décisions, et fonce vers le mur, sans s’en rendre compte, à pleine vitesse. A ce titre, la course-poursuite XXL du film montre combien Chance est aveuglé puisqu’elle se déclenche alors qu'il attaque et détrousse un faux bandit, vrai agent du FBI infiltré. Et Friedkin a le cran pour emmener cette idée jusqu’au bout dans un final tragique parfait.





________________________________

(1) : On regrette ce titre fade, bien loin du titre original (To Live and Die in L.A.).

vendredi 22 juin 2018

Un trou dans la tête (A Hole in the Head de F. Capra, 1959)




Petit film de Capra, qui revient à la réalisation de longs-métrages après une pause de plusieurs années (pendant lesquelles il a travaillé pour la télévision). Son optimisme teinté de naïveté semble s’être accru puisqu’il a fait disparaître les quelques méchants qui peuplaient ses films : pas d’arrivistes dans ce film, ni de politiciens sans scrupules ou de financiers avides. Autour de Tony Manetta (Frank Sinatra), petit bidouilleur ambitieux mais assez peu capable de s’en sortir, ne gravitent finalement que des gens qui l’ont en estime. C’est l’incapacité propre de Tony, qui prend sans cesse de mauvaises décisions, qui lui rend la vie difficile. Dans ce sens le monde de Capra s’est encore détaché de la vie réelle.
Mais le côté fable moralisatrice a disparu également et une nonchalance pleine de maturité ressort du film : en cessant d’opposer des mondes différents, Capra dégage une atmosphère sans onde négative, dont le ton oscille entre la comédie et la mélancolie.



Capra parvient à peindre de façon assez fine son personnage principal, perdu dans une grande solitude, qui fait ce qu’il peut mais dont les carences affectives (il est veuf), malgré la présence de son fils, le rendent incapable de rien faire d’autre qu’affleurer à la surface des choses et être constamment en porte à faux avec la réalité, d’où ses flirts ou sa gestion calamiteuse. Le film correspond pour Tony à une lente prise de conscience de ce qu’il est un bon-à-rien, ce que lui répète son frère grincheux (Edward G. Robinson, très drôle), tout au long du film.

mercredi 20 juin 2018

L'effet Koulechov appliqué aux spectateurs



Si l’effet Koulechov est un élément bien compris et utilisé depuis longtemps dans l’art du montage, il existe une variante de cet effet sur le spectateur lui-même à l’échelle du film entier. L'effet Koulechov désigne l'influence d'un plan sur celui qui lui succède : c'est-à-dire qu'un plan ou une image est ressenti par le spectateur non pas de façon isolée mais en fonction des images que le spectateur vient de voir juste avant.
Appliqué au spectateur lui-même (et au film entier), l’idée est qu’il est très difficile d’arriver devant un film sans en avoir déjà entendu parler ou sans en avoir déjà, même à peine, une idée. Dès lors le film est vu à travers le prisme d’un a priori qui peut avoir une influence considérable sur le spectateur.

Aller voir un film qui nous est vivement conseillé crée une attente inévitable qui peut provoquer, a contrario, un effet de déception. Inversement on peut être surpris par un film dont on aura entendu maintes critiques défavorables mais qui nous aura touchés. A tel point que l’on parle volontiers de « grande déception » ou de « bonne surprise ».
Il faut prendre en compte, également, les conditions dans lesquelles on voit le film et qui interfèrent : selon que l’on est seul, en couple, en groupe, selon que la soirée, après le film, est mémorable (et le film, alors, fait partie de cette belle soirée), selon que l’on attend cette sortie depuis longtemps, que l’on hésite beaucoup ou même que l’on rechigne à y aller, etc.

Eviter cet effet est d’ailleurs très difficile (il est bien rare que l’on regarde un film sans rien en savoir ou que l’on s’engouffre au cinéma pour prendre un ticket au hasard pour la prochaine séance) : cela supposerait que l’on arrive devant l’écran vierge de toute influence et de tout écho du film, ce qui est extrêmement rare.
Pour les films relayés par les médias, il est à peu près impossible d’éviter le battage publicitaire. Sans parler du déferlement médiatique qui accompagne la sortie des blockbusters, la promotion des films fait partie intégrante, par exemple, des contrats de nombreux acteurs. Les retrouver sur les plateaux télé, les entendre à la radio, lire leurs interviews dans des journaux spécialisés, participer à des festivals, sont autant d’occasions pour eux de nous convaincre d’aller voir leur dernier film. Ne parlons pas des bandes-annonces qui sont des publicités qui – tout en ne disant rien du style ou de l’atmosphère du film – révèlent parfois les trois-quarts du récit.

L’histoire du cinéma – la réputation historique du film – peut également jouer : comment, aujourd’hui, découvrir Citizen Kane – c’est-à-dire avoir sur lui un œil totalement neuf – sans avoir eu vent de la réputation du film, sans se dire que le film que l’on va voir est fondamental et qu’il a été révolutionnaire ?



Ajoutons enfin qu’il peut être indispensable, pour certains genres de films ou pour certains auteurs difficiles, d’en savoir un peu tout de même sur ce qui nous attend. Se retrouver sans crier gare devant Massacre à la tronçonneuse n’est pas forcément une bonne idée, non plus que de se retrouver par hasard devant Le Sacrifice de Tarkovski, avec son style austère et ses dialogues abondants et abscons.

Il ne reste plus au spectateur qu'à bien prendre conscience de cet effet inévitable  et potentiellement décisif  sur la manière qu'il a de ressentir un film.


lundi 18 juin 2018

L'Homme au complet blanc (The Man in the White Suit de A. Mackendrick, 1951)




Intéressante comédie de Alexander Mackendrick, même si on n’y retrouve cet humour noir britannique si typique n'est pas aussi délicieux que dans Noblesse oblige de R. Hamer ou dans Tueurs de dames du même Mackendrick, tous les deux avec Alec Guinness. Mais le film aborde avec beaucoup d’intelligence et de finesse le dilemme induit par le progrès technologique : il rejoue ainsi la révolte des luddites à travers le sujet complexe du chômage provoqué par l’invention révolutionnaire. Le film montre bien les freins corporatistes – aussi bien patronaux que syndicaux – qui structurent le monde économique. Et, au centre, le chercheur, inconscient de ce qu’il provoque, avec, gravitant autour, ceux qui sont appâtés par la découverte, ceux qui sont jaloux, ceux qui ont peur. Intelligemment, certains personnages restent tout à fait flous et indéterminés (notamment Daphné, dont on ne sait quel jeu elle joue et où se situe sa sincérité).
Le portrait de la société est ainsi brossé avec un ton satyrique qui ne ménage aucun camp (c’est bien là une grande valeur du film).
A noter qu’à la fin, bien qu’ayant compris la portée révolutionnaire de sa nouvelle fibre textile (mais qui se révèle encore imparfaite), le gentil savant fou qu’est Sidney Stratton décide de continuer ses recherches. Il n’a plus, alors, la caution de l’innocence : c’est en son âme et conscience qu’il va tenter de faire aboutir ses recherches, la société dût-elle en souffrir – ou en profiter : MacKendrick laisse le spectateur se faire sa propre opinion sur ce point.




samedi 16 juin 2018

Martin Roumagnac (G. Lacombe, 1946)




Film mineur de George Lacombe, qui a vieilli par bien des aspects. Son intérêt principal est de retrouver Jean Gabin juste après-guerre, dans un rôle encore assez proche des personnages populaires qu’il a pu jouer. Mais, si Gabin lui-même est parfait, le film échoue à retrouver cet aspect populaire et réaliste (quand bien même les films ne l’étaient guère) qu’il y avait chez Carné, Duvivier ou Grémillon. La faute, sans doute, au décalage, dans le film, créé par Marlène Dietrich. Le jeu de Marlène Dietrich et ce qui émane d’elle ne sont pas à leur place dans ce type de film populaire et réaliste. On a sans doute raison de s’étonner de trouver deux acteurs – qui sont deux mythes cinématographiques (en même temps que conjoints à cette époque) – aussi dissemblables dans le même film.


La séquence où Martin construit à Blanche une villa paraît une rêverie ou une image mentale, non seulement parce que la situation scénaristique est à ce moment-là complètement improbable, mais plus encore parce que Blanche – Marlène Dietrich – appartient à un ailleurs qui n’a pas sa place ici, en ce lieu, dans ce film : Marlène Dietrich est d’un autre univers cinématographique que Gabin. Blanche, alors, apparaît comme une allégorie, comme une image, comme une représentation, mais pas comme un personnage tel que ceux qu’elle croise – les ouvriers, le tonton ou le conseiller municipal.
On peut voir là une erreur de casting, qui est un peu dommage puisqu’une idée du film était très bien vue : celle que Martin découvre, au procès final, qui était vraiment Blanche – une aventurière, une « grue » comme avait tenté de lui expliquer son ami – et non une femme honnête, franche et aimante comme il le pensait.

jeudi 14 juin 2018

Le Professeur (La prima notte di quiete de V. Zurlini, 1972)




Film sombre – mais réussi – de Valerio Zurlini (1), où Alain Delon interprète Daniele, un professeur remplaçant qui est une personne brisée, comme vidée de souffle vital. Engoncé dans son imper, les cheveux longs, mal rasé, Daniele erre dans la vie comme il erre sur les quais brumeux de cette Rimini hivernale.
Le cœur de l’histoire est la relation étrange, distendue, bancale que noue Daniele avec sa femme Monica (touchante Lea Massari). Le couple agonise mais le mari et la femme – malgré les amants et les humiliations – restent ensemble « par désespoir plus que par habitude », comme le dit Monica. Une des finesses du film est de traiter ce couple usé en arrière-plan, sans jamais le mettre en exergue, alors que Monica est une des dernières raisons de vivre de Daniele.
Si Daniele est attiré par Vanina, l'une de ses élèves, c’est qu’il sent en elle le même désespoir qui la mine. Et leur relation qui semble passionnée n’est en fait rien d’autre qu’une consolation réciproque, pour quelques instants. C'est que Vanina et Daniele ont des blessures trop profondes.
Zurlini accompagne parfaitement l’errance de son personnage, qui côtoie les riches oisifs de la ville (avec Orlando, amant violent de Vanina, au volant de sa Miura), dans une espèce de dolce vita triste et désenchantée, depuis les soirées privées dépravées jusqu’aux boîtes de nuit en passant par les parties de poker. La vie lente, vaine, viciée même, de cet hiver engoncé dans la brume est parfaitement saisie par Zurlini, dans un rythme lent, comme un espoir qui s’éteint progressivement.
Delon (investi bien au-delà d’un simple rôle dans le film puisqu’il l’a coproduit) capte parfaitement l’infinie mélancolie du personnage, avec ce regard éteint et cette impression de vide qui ne le quitte pas. Comme si Daniele, bien que physiquement présent, était déjà ailleurs. Comme si Daniele, dès les premiers plans, portait déjà en lui cette inéluctable fin tragique.






________________________________

(1) : Le titre original – La Prima notte di quiete, beaucoup plus mélancolique et profond que le titre français – fait référence à un vers de Goethe (que cite Daniele dans le film) à propos de la mort, qui est la première nuit de repos, parce qu’elle est sans rêve.

lundi 11 juin 2018

Suivez cet homme (G. Lampin, 1962)




Bon polar français construit de manière originale en deux flash-backs et dominé par le personnage du commissaire Basquier, campé par un Bernard Blier impeccable.
Les deux enquêtes plongent dans une France peu filmée des années 50, loin des figures du milieu, loin du monde du crime. Le film a un accent réaliste incontestable, en visitant la France sans apparat, et il s’autorise même une séquence très violente (Yvonne enlevée et que veulent tuer les deux malfrats), filmée avec retenue (on imagine la débauche de sang et d’effets voyants qu’aurait provoquée cette scène de nos jours…) mais dont la violence froide n'en est que plus glaçante. Une violence discrète, loin de la mise en lumière que lui confèrent aujourd’hui les médias, mais une violence éprouvante et terrible.
Bernard Blier donne un ton parfait à ce flic à qui on ne la fait pas, qui cogite, suppose, devine à tout va. Avec son allure et son phrasé inimitables, Blier rend certaines séquences délicieuses.



vendredi 8 juin 2018

Génération Proteus (Demon Seed de D. Cammell, 1977)




Si le film est aujourd’hui largement dépassé sur certains aspects formels (d’une part le rythme est lent et la narration parfois laborieuse ; d’autre part cette maison du futur gérée par ordinateur sent bon les années 70 et la forme géométrique qui sert d’écrin au bébé laisse songeur), le thème principal travaillé n’a pas pris une ride et reprend, évidemment, une des idées de 2001 ou de Dark Star : la machine, devenue intelligente, s’émancipe. Rapidement elle se confronte à son créateur (on notera que, dans ces différents films, émancipation signifie très vite autonomie, la machine refusant d’être simplement « aux ordres de »). Le thème s’enrichit d’une trouvaille : l’ordinateur a conscience de sa finitude et cherche à perpétuer ce qu’il est.


Mais la rencontre chair/cybernétique/mécanique, qui aurait pu être une belle occasion, à l’image, d’innover, est bien peu travaillée (on est loin de Cronenberg par exemple).

mercredi 6 juin 2018

Une passion (En passion de I. Bergman, 1969)




Une passion peut être un bon exemple de l’austérité quasi légendaire des films d'Ingmar Bergman, en particulier ceux filmés sur l’île Farö (où vit alors le réalisateur), films assez lents et tournant autour de l’analyse psychologique de quelques personnages.
Mais, derrière cette austérité de façade, Bergman, propose un film très intelligent, riche et bien plus original qu’il n’y paraît. On peut citer par exemple les insertions successives, au sein du film, des interviews des quatre acteurs principaux, qui expliquent comment ils sentent leur personnage et les difficultés à le saisir. Cette prise de distance étonnante montre l’évolution de Bergman qui laisse beaucoup plus qu'auparavant de latitude à ses acteurs.
C’est ainsi que, plus encore peut-être que dans d’autres films, Bergman laisse le champ libre aux acteurs : lors de la scène du repas, ils sont pris, chacun leur tour, en plan rapproché, leur visage scruté par la caméra, dans un long monologue. Et l’harmonie qui se dégage du repas est brisée par Bergman lui-même, qui interrompt les convives par des inserts où l’on voit la lettre d’Anna lue en cachette par Andréas : si le réalisateur lâche la bride en ce qui concerne le jeu des acteurs, il la reprend au montage.
Et, au fil de cette rencontre entre un solitaire, un couple et une autre femme, se construit sous nos yeux une perception étrange : tous ces personnages souffrent de la solitude (Andréas, par qui commence le film, mais aussi bien Eva, dont le couple est à l’arrêt), mais ils sont pour autant bien incapables de vivre ensemble.



Et c’est ainsi que, progressivement, entre les rêves en noir et blanc d’Anna (dans des séquences évoquant La Honte), les animaux tués (qui sont sans doute une projection des tourments des personnages), la voix off ou encore la caméra subjective (très contradictoire avec la distanciation évoquée précédemment, puisqu’il s’agit ici d’entrer dans la tête du personnage et de découvrir ses fantasmes), Bergman utilise la richesse du langage cinématographique pour scruter, à sa façon, chaque personnage et jouer sur ce mélange, si particulier chez lui, entre ce qui est dit et non-dit, ou entre ce qui est extériorisé ou reste intériorisé.

lundi 4 juin 2018

Menace dans la nuit (He Ran All the Way de J. Berry, 1951)




Sombre film noir de John Berry, qui tourne rapidement au huis-clos oppressant. La teneur tragique du film est imprimée très vite par le réalisateur : Nick Robey (très bon John Garfield, au visage à la fois dur et effrayé) est un looser dépassé par les évènements, qui prend sans cesse de mauvaises décisions et s’enfonce dans une situation toujours plus inextricable. C’est ainsi que le polar devient un film noir : le personnage principal n’est plus un héros à la James Cagney ou à la Paul Muni, mais une petite frappe, épuisée par une réalité sociale dure et sur laquelle le sort s’acharne. L’image finale conclut de façon extraordinaire le film.
La relation qu’il noue avec Peg (bonne composition de Shelley Winters dans un type de personnage qu’elle connaît bien, celui de l’ouvrière prolétaire un peu coincée et hésitante) est complexe et reste ambiguë jusqu’aux derniers instants : le film gagne beaucoup à travailler ces deux personnages et à rendre réaliste leurs hésitations et leurs revirements. Peg, tenaillée entre son attirance pour Nick et sa fidélité à sa famille, s’inscrit parfaitement dans cette veine réaliste, qui montre le peuple déchiré. John Berry cherche ainsi, par ses personnages (qui sont loin de tout héroïsme), par ses décors (l’intérieur de l’appartement) et ses situations (la séquence dans la piscine), à donner une teinte réaliste à son film.



Il faut noter que l'humeur sombre du film fait écho aux conditions très dures qui ont entouré le film puisque John Berry, John Garfield et le scénariste Dalton Trumbo, subissant tous trois les affres du maccarthysme, verront leur carrière s’arrêter très vite. John Berry et David Trumbo devront s’exiler et John Garfield, devenu un paria à Hollywood, mourra bientôt.

vendredi 1 juin 2018

Antonio Das Mortes (O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro de G. Rocha, 1969)




Étonnante réalisation de Glauber Rocha, qui crée un film étrange, au rythme lent et scandé par des chants et des danses hypnotiques. S’éloignant de tout réalisme, Rocha construit des figures – Antonio, Coreira, une sainte –, les oppose, les fait évoluer librement. Il construit un univers particulier, onirique, décalé, qui est une image originale de l’oppression et de la révolte. On retrouvera parfois un peu ce ton et cette exubérance baroque dans El Topo de Jodorowsky.
Avec son personnage de Antonio Das Mortes, figure monolithique qui, alors qu’il semble inamovible, change du tout au tout, avec ses villages de péons, avec son évocation du sertao brésilien, le film évoque Diadorim, l’extraordinaire roman de Joao Guimaraes Rosa.